- Parcours politique de Feu Ferhat Abbas
Parcours politique de Feu Ferhat Abbas par Mme Leila BENMANSOUR,Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication et Membre du CNRS (France)
Texte intégral de la conférence sur le parcours politique de Ferhat ABBAS, donnée à Sétif
(Maison de la Culture) le 24 Décembre 2011, à l’invitation de l’Association des Ancien(ne)s
Elèves des Lycées Mohamed Kerouani et Malika Gaid
Mesdames, Messieurs
Chers compatriotes
Avant toute chose, permettez-moi de faire mes salutations fraternelles à l’ensemble de la population héroïque de Sétif, la ville martyre, marquée au fer rouge, du 8 mai 1945. Cette population héroïque, suivie de celle de Guelma et Kherrata, amputées dans leur chair de milliers de leurs enfants. Ce qui ne s’oublie pas de génération en génération.
Ces salutations étaient nécessaires pour que nul n’oublie. Car vos morts sont aussi les nôtres, et ils ne nous pardonneraient pas de ne se souvenir d’eux que lors des commémorations officielles, car chaque jour qui est nôtre doit aussi être le leur, car nous ne sommes ici en tant que peuple libre que grâce à leurs sacrifices.
Mes salutations vont aussi à mes hôtes, monsieur Toufik Gasmi, président de l’association des anciens élèves des lycées Mohamed Kerouani et Malika Gaïd, auteur de l’ouvrage « Nous étions lycéens. Une nostalgie sétifienne »,ainsi que les honorables membres de cette association qui m’ont fait l’honneur de me convier parmi eux en ce jour solennel de la commémoration du 26ème anniversaire du décès du regretté Ferhat Abbas, président du GPRA, fils adoptif de Sétif qui l’a accueilli, l’a choisi pour le représenter, l’a aimé, l’a soutenu, l’a toujours honoré et le grand homme le lui a si bien rendu.
Permettez-moi aussi de saluer les personnalités présentes en leur qualité d’autorités locales, venus rendre hommage à l’homme qui mérite tous les honneurs.
Et de remercier plus particulièrement monsieur le recteur de l’université Ferhat Abbas de Sétif, d’avoir accepté d’être le modérateur de cette conférence, ce qui m’honore au plus haut point, d’autant plus que cette université porte le nom du grand homme objet de notre réflexion aujourd’hui.
Je remercie toutes les personnes, de Sétif ou d’autres villes, qui se sont déplacées pour vivre avec nous ce moment solennel du 26ème anniversaire du décès de Ferhat Abbas.
Mes salutations vont enfin aux membres de la famille Abbas et alliés, et particulièrement à M. Abdelhalim Abbas, fils de Ferhat Abbas, qui par sa seule présence parmi nous a apporté avec lui l’odeur imprégnante de l’homme illustre.
Chers hôtes de l’association des anciens élèves des lycées Mohamed Kerouani et Malika Gaïd, ces anciens élèves que vous représentez sont votre fierté, non seulement parce que certains d’entre eux ont fait partie de la crème de l’élite de l’Algérie indépendante, mais aussi parce que d’autres anciens élèves de ces mêmes lycées, à un jeune âge, celui de l’adolescence, avaient rejoint la révolution algérienne, et certains d’entre eux sont morts au champ d’honneur.
Voilà une double raison, qui fait que l’existence de votre association vous honore au plus haut point.
Votre association porte le nom de deux valeureux martyrs, et grâce à votre invitation, j’ai pu rappeler à ma mémoire que Malika Gaïd, bien qu’originaire de Sétif, est en fait belcourtoise comme moi, elle rejoint le maquis où elle est infirmière.
C’est l’arme à la main qu’elle tombe au champ d’honneur le 16 octobre 1961.
Son compatriote, Mohamed Kerouani, enfant de Sétif, est alors un jeune lycéen, lorsqu’il meurt pour sa patrie le 16 octobre 1961.
L’occasion est heureuse de se souvenir de ces deux martyrs, en un jour tel que celui-ci, où nous commémorons le décès de celui que nous considérons aussi comme un martyr, parce qu’il est mort avec dans son coeur la terrible souffrance de l’injustice.
Mais l’occasion est heureuse parce que cet hommage ravive le grand homme et le rend présent parmi nous.
Chers hôtes de cette honorable association, vous m’aviez conviée parmi vous pour m’exprimer au sujet de Ferhat Abbas, qui a fait ses premiers pas en politique à Sétif, dans les années 1930 et où il se forgea au fur et à mesure du temps, une carrière de politicien chevronné.
C’est à partir de Sétif la glorieuse que le nom de l’homme illustre résonna, pour devenir incontournable dans la question algérienne. Et c’est vers Sétif qu’il revint triomphant, en 1962, face à une foule en liesse l’accueillant en héros. Et c’est au cimetière Sidi El Kheir qu’il avait émis le voeu d’être enterré, mais sa place se devait d’être à El Allia, auprès des grands de notre nation.
Qui donc connait mieux Ferhat Abbas que les sétifiens eux-mêmes ?
Qui donc connaît mieux Ferhat Abbas que vous-mêmes qui êtes aujourd’hui en présence dans cette honorable enceinte ?
Il est donc bien difficile à qui que ce soit de vous parler d’un homme que vous connaissez mieux que personne.
Vous êtes certainement très exigeant lorsqu’il s’agit de parler de Ferhat Abbas, et vous avez bien raison. Vous êtes certainement en attente du « plus » et non de ce que vous connaissez déjà. Ma situation est donc bien ardue d’abord de ne point vous décevoir, et ensuite d’essayer de vous surprendre par des informations complémentaires ou par de l’inédit.
Que ce soit l’une ou l’autre des situations, il est certain en tous cas, que vous et moi, avons pour le grand homme respect, admiration et reconnaissance,et c’est cela l’essentiel.
Vous ne pouvez savoir le bonheur qui est le mien aujourd’hui de me retrouver dans sa ville de prédilection face aux Sétifiens qu’il a tant aimés. Et ce bonheur est d’autant plus grand que je n’ai jamais pensé mon travail vain, car j’avais foi en mon pays qu’un jour ou l’autre le grand homme retrouverait sa place prés de son peuple, cette place qu’il n’aurait jamais dû quitter.
Oui, j’avais foi qu’un jour ou l’autre le peuple algérien recevrait le message de la vérité.
Mais durant toutes ces années de recherche et de réflexion sur ce grand homme, j’étais à mille lieux d’imaginer que Ferhat Abbas, dans sa tombe,n’avait pas dit ses derniers mots. C’est alors que vint vers nous son dernier message fait d’espoir et d’optimisme, à travers un livre posthume « Demain se lèvera le jour », et c’est en père de la nation, qu’il s’adresse à son peuple, et surtout à la jeunesse algérienne objet depuis toujours de ses préoccupations,pour lui rappeler que rien n’est perdu et que tout est encore possible.
Ce livre posthume est arrivé à son heure, à la veille même de grands bouleversements internationaux, et plus précisément dans le monde arabe,comme quoi, le visionnaire a encore une fois prouvé, s’il fallait encore une preuve, qu’il était en avance sur son temps.
Avec le coup de génie du Manifeste et des AML qui lui permit de faire l’union autour de lui.
Avec l’UDMA, ce parti qui lui permit d’avoir non seulement une envergure nationale, mais aussi internationale.
Avec la présidence du GPRA, qui après l’assassinat du valeureux Abane Ramdane, lui a permis de ressouder les troupes pour sauver la révolution.
Et c’est le même coup de génie de celui qui reprit son bâton de pèlerin en 1962, de Sétif direction Tlemcen pour sauver le pays d’une guerre fratricide annoncée.
Et c’est le même coup de génie avec « Demain se lèvera le jour », sans surprise aucune, c’est le même homme, visionnaire, il est vrai, mais préoccupé que par une seule chose, le bien-être de son peuple.
Et l’on se dit que c’est quand même extraordinaire que ce message d’espérance et d’optimisme arrive à la veille d’évènements aussi gravissimes pour nous donner la force de résister et d’épargner à notre cher pays une autre déchirure.
A la suite de la publication dans son pays, comme tel fut son désir, de « Demain se lèvera le jour », son oeuvre dans son ensemble, victime jusque là du scellé de l’injustice, est alors rééditée en Algérie. Le voeu de Ferhat Abbas que ses livres soient lus des jeunes Algériens est dés lors exaucé.
Là où il se trouve, et nous l’espérons grâce à Dieu, au paradis éternel, le grand homme est inchaâlah apaisé.
Aujourd’hui le soleil s’est levé sur notre cher pays, et le grand homme a retrouvé sa place prés de son peuple, plus grand et plus vivant que jamais.
La preuve en est, nous sommes là tous ensemble, vous les sétifiens de son coeur, nous tous les Algériens, pour rendre hommage à cet homme qui nous dédia sa vie avec abnégation. Nous lui devons la reconnaissance. Et c’est en algérienne reconnaissante, que je suis là, face à vous, aujourd’hui.
Pourquoi devons-nous être reconnaissant envers le grand homme ?
Parce que, comme je viens de le dire, il a dédié sa vie entière et avec abnégation, à la cause de son peuple, et souvent au péril de sa vie. Et son combat politique a débuté alors qu’il n’avait que 20 ans, alors que les jeunes de son âge ne sont préoccupés que par les questions de leur âge, lui va déjà se positionner dans la cour des grands, pour défendre la cause de sa communauté.
Cette communauté indigène confrontée à l’infâme code de l’indigénat qui faisait de l’indigène un être mineure, surveillé, brimé au quotidien.
Ce code de l’indigénat,Ferhat Abbas n’aura de cesse que de le voir aboli.
Président de l’association des étudiants d’Afrique du nord, et au sein d’étudiants européens, il portera, tel un défi, marquant sa différence, la toque d’astrakan, symbole de son identité musulmane, et clin d’oeil à Kemal Attatürk,qu’il admirait dans sa jeunesse, et dont il emprunta une composition d’un pseudonyme Kamel Abencérages pour signer ses articles.
Cette réussite turque qui lui permit de croire qu’un jour ou l’autre, l’Algérie serait à son image, un pays libre, une nation démocratique et moderne.
C’est vers ce but que tendra son combat politique de 1920 à 1962, et c’est encore vers ce but qu’il a laissé son message posthume car l’indépendance confisquée a dévié le combat suprême de son but sacré.
Et c’est parce qu’il s’était insurgé contre l’indépendance confisquée que le grand homme a été traité comme un renégat.
On a osé menotter les mains de celui qui n’avait tant écrit que pour défendre le peuple opprimé.
On a osé le jeter dans une voiture, direction la prison dans le sud algérien,comme un malfrat, sans une veste pour le protéger du froid, lui fragilisé par l’âge car il avait à l’époque 65 ans, une santé fragilisée par ce long combat contre l’oppression coloniale depuis 1920, et cette terrible guerre de prés de huit ans contre une si grande puissance.
Sans veste pour le protéger du froid, si ce n’était un digne officier algérien, qui le couvrit de son propre manteau.
On a osé salir son honneur en le qualifiant de traitre à la nation algérienne,lui qui avait dédié sa vie à cette même nation, et ceci face à des algériens médusés, attristés, mais muselés.
Et on a écrit l’histoire falsifiée faisant de lui l’assimilationniste, alors que c’est au nom de son algérianité et de son islamité, qu’il avait tant combattu,défiant l’administration coloniale au péril de sa vie.
On a fomenté le complot pour le faire tomber du piédestal où les hommes de novembre l’avaient placé le 19 septembre 1958, on a fait circuler le mot d’ordre de celui qui aurait dit que la nation algérienne n’existe pas, pour le jeter à l’invective populaire.
Mais le peuple algérien, dans le silence de ses demeures, a toujours su qui était cet homme qui de 1920 à 1962, n’a tant combattu que pour que ce peuple puisse vivre dans la liberté et la dignité dans son propre pays.
L’engagement
C’est donc en 1920, soit 34 ans avant le déclenchement de la révolution algérienne, que Ferhat Abbas entra sur la scène politique en baroudeur de la plume, et au péril de sa vie, attaquant de front un mouvement idéologique venimeux, raciste et antisémite, appelé algérianisme.
L’année 1920 est donc une date majeure à retenir, parce qu’elle scella irrémédiablement la vie de Ferhat Abbas à la question politique algérienne.
Permettez-moi de prendre un peu de temps pour dire en quelques mots, à ceux qui ne le savent pas, ce qu’est exactement l’algérianisme.
L’Algérianisme est né vers la fin du XIXème siècle, avec pour apôtre, un certain Louis Bertrand, l’auteur du fameux livre « Le sang des races » publié en 1899, et prit son essor en 1920 pour commencer à perdre son souffle vers 1935,mais perdurera quand même jusqu’en 1945 en Algérie, mais existe à ce jour organisé en association en France.
C’est donc en 1920 que ce mouvement autour duquel se réunirent des écrivains français d’Algérie, Robert Randau, Louis Lecoq, Charles Courtin,Ferdinand duchesne, Jeanne faure-Sardet, entre autres. Ferdinand Duchesne jurant que cette Algérie serait mise à feu et à sang si les Français avaient à la quitter, et Charles Courtain appelant au génocide, autrement dit, un appel au meurtre.
La plupart de ces écrivains français d’Algérie, de naissance ou d’adoption,dans le cas de Louis Bertrand le fameux auteur des sangs des races, il est venu en Algérie à l’âge de 25 ans pour y professer les Lettres françaises, je disais donc que la plupart de ces romanciers de circonstance, n’ont écrit leurs romans que pour délivrer un message, selon lequel, ils sont « les seuls Algériens », parce que se disant descendants des romains, et que les romains sont arrivés en Algérie avant les arabes.
Toujours selon ce message, l’Islam est une religion importé qui doit disparaître d’Algérie. L’Arabe est fustigé de toutes les tares, voleur, menteur,fourbe et fainéant, étrangers à la patrie algérienne qu’il devra quitter.
Le Kabyle accepté à la condition qu’il se désislamise.
A qui était destiné ce message algérianiste ?
Ces romanciers le disent clairement.
Ce message est adressé à l’élite indigène. Cette élite est tournée en dérision, moquée, raillée, qualifiés de tous les sobriquets.
A l’heure du mouvement algérianiste florissant, c-a-d 1920, Ferhat Abbas n’a que 20 ans, il est alors étudiant en pharmacie, nous savons qu’il est rentré à l’école 10 ans auparavant. C’est donc en à peine 10 ans d’école, qu’il est journaliste-pigiste comme on les appelle dans le jargon journalistique, tout en poursuivant ses études. Ferhat Abbas le rappellera en 1980 à Antenne 2 midi,interviewé lors de la publication de son livre « Autopsie d’une guerre », qu’il avait écrit son premier article à l’âge de 19 ans.
Pour en revenir à l’algérianisme, il faudrait préciser que si l’on n’a pas lu le roman algérianiste, il serait bien difficile de comprendre ce qui a pu se passer dans l’esprit (et dans le coeur) de ce jeune Algérien.
J’ai lu le roman algérianiste, qui a servi de base de travail à ma thèse de doctorat.
J’ai lu un grand nombre d’auteurs regroupés autour de ce mouvement,dont j’ai analysé les ouvrages, parce que ma thèse s’intéressait entre autres à la question identitaire soulevée en Algérie durant la période de l’entre-deuxguerres.
J’étais alors une femme mûre, qui avait déjà une vie professionnelle,une vie maritale, qui avait vécu enfant la guerre d’Algérie, et qui avait vécu adulte l’indépendance confisquée, qui a eu le temps de voir les choses et d’essayer de comprendre. Et pourtant, à la lecture du roman algérianiste, j’en suis ressortie sous le choc, blessée, meurtrie.
Alors, imaginez un jeune homme de 20 ans, lisant ces ouvrages, qu’il a lu bien évidemment, comment en est-il ressorti après cette terrible lecture ?
Son sang n’a pu que se retourner, et il s’agit ici du sang des races, et il a vidé son ressentiment dans un article adressé aux algérianistes, et plus précisément à leur chef de file Louis Bertrand. Il écrit :
« Il est facile de vouloir exterminer les gens, quand d’un côté il y a des
mitrailleuses et de l’autre des fusils de bois. A armes égales, nous aussi nous
savons mourir » (Le Jeune Algérien. p. 138).
Notons que cet article se trouve dans le jeune algérien.
A la lecture de ce droit de réponse écrit pourtant par un jeune homme de 20 ans, l’on ne peut qu’être ébloui par la connaissance approfondie du sujet, la profondeur de la réflexion et l’excellence de l’expression française, à tel point qu’en le lisant on a l’impression qu’il a été écrit par un homme d’âge mûr et expérimenté.
Je peux dire ici en votre enceinte, car c’est de l’inédit, que c’est après lecture du roman algérianiste, ces algérianistes usurpateurs de l’identité algérienne, que le destin de Ferhat Abbas a basculé, décidé à en découdre avec ces racistes, au nom de l’algérianité de son peuple, et à partir de là commença un long combat semé d’embûches, contre l’oppression coloniale, pour l’indépendance de son pays. Cette question identitaire n’a donc pas été pour rien dans son engagement politique, et a donc été au coeur de son combat.
Ferhat Abbas écrit à l’intention des algérianistes alors qu’il n’a que 20 ans ces phrases connues désormais des jeunes algériens, et qui auraient pu être véhiculées depuis 1962, au lieu de celles falsifiées sur la nation. Il écrit en effet :
« Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette
terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants.
Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne
voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne
pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des
peaux-rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-berbères qui ont
fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas
demain s’accomplir sans eux » (Le Jeune Algérien. P. 143)
Ferhat Abbas avait donc dés l’âge de 20 ans, la fibre nationaliste, et ce nationalisme est entremêlé de bravoure, parce qu’il faut pouvoir être âgé de 20 ans et se mettre en guerre contre un mouvement, aussi puissant que l’algérianisme, au point qu’il existe à ce jour.
Il faut pouvoir être âgé de 20 ans, lire et comprendre, et écrire un droit de réponse digne d’un intellectuel chevronné, alors qu’il est rentré à l’école à peine 10 ans auparavant, ce qui tient du prodige.
Il faut pouvoir mettre sa tête à prix, alors qu’il était seul, sans un parti politique français pour le soutenir, comme ce sera plus tard le cas pour d’autres hommes politiques du mouvement national dont le parti même fut créé sous l’égide du parti communiste français.
Notons à ce niveau, qu’aussi bien Ferhat Abbas que Ben Badis, étaient contre le fait d’appartenir à un quelconque parti politique français.
Ferhat Abbas a défendu l’algérianité de son peuple en 1920, alors qu’il n’avait que 20 ans, prenant le risque de tout perdre dans l’aventure, et alors qu’une certaine élite indigène, était déjà naturalisée.
Pour Ferhat Abbas, dés son entrée en politique à l’âge de 20 ans, les choses étaient claires, il était Algérien et fier de l’être, refusant cette naturalisation qui exigeait le renoncement au statut personnel, et en tant que musulman lui-même, il ne comprenait pas pourquoi le peuple algérien devait renoncer à son islamité pour rentrer dans la cité française, alors qu’en 1870, le décret Crémieux avait naturalisé en masse les Juifs d’Algérie, sans leur demander de renoncer à leur foi.
Ce décret Crémieux, un précédent, qui avait durablement marqué l’élite indigène.
Malgré le deux poids, deux mesures du décret Crémieux, Ferhat Abbas dont l’humanisme était bien connu, n’a jamais voulu confondre le gros colonat raciste et égoïste au petit peuple pied-noir. En fait, il ne s’est jamais trompé de cible.
La guerre de 14-18 n’a fait qu’enfoncer le clou, car après avoir donné 25 000 de ses enfants, morts dans les tranchés, pour la France, sans savoir d’ailleurs pourquoi ils se battaient, et au lieu que les leurs obtiennent une reconnaissance de l’impôt du sang, ils seront plus brimés que jamais, et les revendications de leur élite pour un mieux vivre ensemble resteront lettre morte.
Cette non-reconnaissance ajoutée au précédent du deux-poids, deux mesures du décret Crémieux, va faire basculer une partie de cette élite indigène,vers les idées indépendantistes.
D’autant plus qu’elle est très attentive aux bouleversements qui secouent le monde, la révolution d’octobre en Russie, les évènements de Turquie, dont les échos son arrivés à cette élite, qui avaient au coeur ce pays musulman.
La révolution turque et l’oeuvre de Mustépha Kemal sont des facteurs déterminants, et le décès de Mustefa Kemal en 1938 sera vécu comme une tragédie, Ferhat Abbas, lui-même en sera affligé, et consacrera plusieurs articles louant l’oeuvre et glorifiant l’homme.
Mais c’est surtout la proclamation du 22 janvier 1917 de Woodrow Wilson, président des Etats Unis, sur les droits des peuples à disposer d’euxmêmes,qui va mettre cette élite en effervescence, et l’encourager à réclamer ses droits avec plus d’insistance, et plus tard avec Ferhat Abbas, ce sera avec virulence.
Au sein de cette élite indigène de l’Algérie de l’entre-deux-guerres, Ferhat Abbas a été le seul à avoir très tôt compris, c’est-à-dire dés 1920, que jamais le colonat n’accepterait de partager une seule miette de ses privilèges.
Mais en 1920, il était encore étudiant. Cet étudiant n’était aux autres, en rien pareil. Il a été reconnu dés cet âge, et par tous, comme un érudit, comme l’occupant lui-même ne possédait dans ses rangs, aucune pareille âme, et comme si dans son berceau, à la place du biberon, il avait un livre. Il est reconnu par tous, comme un génie de la politique, comme il en a existé nulle part ailleurs à
un âge si précoce.
Raison pour laquelle, après l’exil en Syrie de l’émir Khaled, petit fils d’Abdelkader en 1924, qui jusque là occupait la scène politique, au nom de la question indigène, c’est Ferhat Abbas qui va se saisir de la question algérienne,pour ne plus jamais la lâcher, il avait alors 24 ans, bousculant le colonat dans ses assises, comme personne avant lui n’avait jamais osé.
Mais, il a ses études à terminer, il prendra le temps de les faire. Car c’est important d’être diplômé, c’est d’autant plus important lorsque l’on sait que c’est un privilège, vu que les portes des écoles étaient fermées aux indigènes, et c’est encore plus important lorsque l’on va sur le terrain de l’adversaire en se sentant égal et même supérieur.
L’homme montant des années 30
En 1931, Ferhat Abbas termine ses études. Il est docteur en pharmacie. Il décide de s’installer à Sétif, où il ouvre une pharmacie. Une ascension extraordinaire pour un indigène, et quel merveilleuse surprise du destin, pour celui qui jusqu’à l’âge de 10 ans marchait pieds nus dans le douar, sans savoir un seul mot de français.
Ouvrir une pharmacie, c’est l’espoir d’une vie qui se réalise, et de plus les études de pharmacie sont très sélectives. Réussir en ce domaine, c’est énorme pour un français lui-même, que serait-ce pour un indigène confronté à des problèmes de survie, qui ne se limitaient pas au pain quotidien, mais aussi au racisme.
Mais l’étudiant était boursier, encore heureux ! Lorsque l’on sait le nombre d’indigènes dans l’université française en 1920, à peu prés une cinquantaine, on se dit que ces étudiants-là n’ont pas saigné l’administration coloniale.
Mais le virus de la politique avait eu raison de toute autre ambition, et avec un tempérament aussi bouillonnant que le sien, avec ces années exaltantes qu’il venait de passer en tant que président de l’association des étudiants, avec ses activités politiques de plus en plus intense en dehors de sa faculté, il est clair qu’installé, Ferhat Abbas ne pouvait que s’ennuyer dans sa pharmacie.
Et cette pharmacie risquait de lui prendre son temps désormais précieux,car l’l’homme n’a qu’une idée en tête depuis 1920, sortir son peuple de la situation de servitude où le colonialisme le maintenait depuis 1830.
D’ailleurs, il était déjà engagé, Et quand on s’engage pour une cause juste,on sait ce qu’on fait, on sait où on va, et le bien matériel n’a plus aucune valeur.
Cette pharmacie est là. Tant mieux, Il se chargera d’en faire un lieu de rencontres d’hommes préoccupés par le devenir de leur communauté, cherchant le moyen de faire cesser la servitude.
Durant la période de l’entre-deux-guerres, Sétif devint grâce à Ferhat Abbas, la plaque tournante du mouvement national.
Même si Ferhat Abbas, durant sa vie d’étudiant, avait déjà donné les preuves de ses capacités extraordinaires dans le domaine politique, dans ces débuts1930, il n’avait ni un parti, ni son propre journal pour exprimer ses idées politiques.
Raison pour laquelle il avait besoin de l’aide, et de la contribution d’une certaine élite indigène déjà bien installée, à l’exemple du docteur Bendjelloul qui était député de Constantine depuis 1920, et président de la fédération des élus depuis 1933, et sera à partir de 1935, directeur politique du journal L’Entente qui appartenait à la même fédération. Et créera même en 1938 le Rassemblement franco-musulman (RFMA). Il était très aimé de la population constantinoise, car sa générosité était légendaire, oeuvrant pour les plus démunis. Le docteur Bendjelloul était donc une personnalité importante, durant cette période de l’entre-deux-guerres.
De surcroît, Ferhat Abbas n’était lié à un aucun parti politique français, à l’exemple de Messali, activant en France sous haute protection du PCF. Ou à l’exemple de certains élus indigènes affiliés à des partis politique français.
L’un d’entre eux Mohammed El Aziz Kessous affilié à la SFIO.
Personne donc pour le protéger, ni pour l’aider financièrement, car un parti et un journal nécessitent de l’argent et des hommes compétents. Ferhat Abbas n’avait qu’une seule richesse et qu’une seule force celle de ses convictions, que l’indépendance était la seule issue.
Comment y parvenir était une autre question. Et cela depuis 1920. Depuis qu’il avait été confronté à ce racisme odieux de l’algérianisme, à ce rejet de l’autre, qu’il savait irrémédiable,à cette usurpation de l’identité algérienne, dont les usurpateurs se disaient prêts à mettre l’Algérie à feu et à sang s’ils avaient à la quitter, ou étaient prêts au génocide comme dans le cas de Charles Courtain.
Ferhat Abbas, ce génie de la politique, ce visionnaire pouvaient-ils penser un seul instant que ces algérianistes ne mettraient pas leurs promesses à exécution ?
Le visionnaire ne pouvait qu’avoir raison, et vous ne pouvez qu’en convenir, car l’OAS en 1962, n’a-t-elle pas repris le slogan algérianiste de la terre brûlée », mettant Alger à feu et à sang avant de la quitter ?
Qui n’a pas eu le coeur meurtri, à l’époque, pour ceux qui l’on vécu, en apprenant que les archives de la BNA venaient d’être brûlés ? L’Algérie avait perdu 1million et demi de personnes de son peuple, il avait fallu qu’on cherchât à la priver des traces de son passé.
Revenons à Ferhat Abbas pour dire que malgré les difficultés d’ordre matériel, il est dans ces années 1930 une étoile montante, son aura s’étend de Sétif jusque sur tout le territoire national, et même en Métropole où son nom se murmurait déjà, car avec les fêtes du centenaire de la colonisation, il publie un livre choc « Le jeune Algérien » qui marqua les esprits, récidivant sur la question de l’algérianité, de l’islamité du peuple algérien, dénonçant la terrible injustice du service militaire (18 mois pour les Français d’Algérie et 3 ans pour les indigènes)…etc.
Sa réputation étant faite, et sans attendre davantage, il décide de s’engager officiellement en politique, car il savait que ce n’est pas en lançant des slogans les bras croisées, que l’on ferait bouger les choses.
Il devient député de Sétif choisi par les Sétifiens, qui ne cesseront à partir de cette date de lui accorder leur confiance. Raison pour laquelle, Ferhat Abbas rappelait, depuis toujours, son attachement à la ville de Sétif et son affection pour sa population, au point d’avoir émis le voeu d’être enterré prés d’eux. Mais c’est Jijel qui l’a vu naître,et pour le lieu de naissance c’est toujours, et pour tous les êtres mortels que nous sommes, un attachement charnel.
Le temps presse, et l’homme est impatient, il se rapproche de la fédération des élus du constantinois, et permettez-moi à ce niveau, d’émettre une hypothèse que ce serait sur l’initiative et les conseils de Ferhat Abbas que la fédération des élus créa le journal L’Entente où le docteur Bendjelloul président de cette association, en était le directeur politique.
En effet, j’ai constaté que le docteur Bendjelloul, s’efface complètement,et lui laisse le champ libre pour défendre ses idées (remarquons à ce niveau que le docteur Bendjelloul en lui donnant carte blanche dans son propre journal ne
pouvait que partager ses idées ?) et Ferhat Abbas devint surtout à partir de 1937,l’homme fort de L’Entente, son rédacteur en chef et son administrateur, au point que beaucoup de gens ont cru et croient encore que ce journal appartenait à Ferhat Abbas.
Mais il serait plus juste de dire que trois hommes, Bendjelloul, Kessous et Abbas, feront de L’Entente un journal politique pur et dur pour défendre leur communauté et dénoncer l’injustice, au péril de leur vie. Ce journal marqua durablement la période de l’entre-deux-guerres, puisqu’il dura de 1935 à 1942.
Journaliste militant au sein de L’Entente qui appartenait, comme dit précédemment à la fédération des élus du constantinois, Ferhat Abbas n’avait en fait, depuis toujours qu’une ambition, créer son propre journal, car il avait compris très tôt, et dés l’âge de 20 ans, que la presse est une arme redoutable et qu’il fallait s’en servir, et notre homme savait s’en servir.
A l’époque il n’y avait pas les multiples médias que nous avons aujourd’hui. La presse était le média de masse par excellence. Créer son propre journal était aussi pour lui, le seul moyen de s’affranchir de l’élite indigène qui possédait des journaux, et qu’il était obligé de ménager aussi pour avoir une tribune où s’exprimer.
Mais le journalisme c’était avant tout son crédo, là où il se lâchait, là où il se faisait plaisir, et il se révéla un journaliste de talent. En lisant ses articles et éditoriaux,je suis tombée sous la séduction d’une telle plume exceptionnelle et combative.
Ferhat Abbas n’a jamais été dupe, et encore moins utopiste comme l’a qualifié un certain historien, au contraire il était plus que réaliste, car dans les années 1930, venant de terminer ses études de pharmacie, et s’engageant directement en politique pour défendre sa communauté confrontée à l’injustice,il n’avait pas en face de lui uniquement le colonat, mais aussi une certaine élite indigène, hostile à l’idée d’indépendance.
Et cette élite, hélas, Ferhat Abbas n’avait d’autres choix que de la ménager. Et il y avait aussi une élite française indigénophile dont l’aide aux indigènes était précieuse, qui était elle aussi contre l’idée d’indépendance, mais militait pour le vivre ensemble.
Pourquoi Ferhat Abbas devait-il ménager l’élite indigène ?
1° Parce qu’il jugeait qu’elle avait déjà beaucoup donné d’elle-même au service de sa communauté. Et en ce sens Ferhat Abbas est un homme juste.
2° Parce que le combat pour l’indépendance du pays n’était qu’à ses balbutiements, et qu’il avait besoin du soutien et de la contribution de certains des hommes qui la composaient, et qui étaient des personnes rares en leur époque, par leur instruction d’abord, formés au sommet de l’université française,par leur esprit éclairé, par leur expérience en politique, car certains d’entre eux étaient des élus.
3° Parce que la communauté indigène qui n’avait au début du 20ème siècle qu’une centaine d’hommes diplômés des universités françaises, ne pouvait pas se permettre de les sacrifier.
Il est à noter qu’en 1935, il y avait 94 étudiants indigènes fréquentant l’université française d’Algérie.
Certains hommes composant cette élite, seront des compagnons de lutte de Ferhat Abbas durant de nombreuses années, tels le docteur Bendjelloul et Mohammed El Aziz Kessous. Il y eut d’autres hommes, bien évidemment, tels Kadour Sator, Docteur Saadane, Ahmed Benzadi…etc, qui ont travaillé étroitement avec Ferhat Abbas jusqu’au sein de l’UDMA, mais ces deux- là marquèrent durablement son combat politique pour différentes raisons, et donc ce sera sur ces deux hommes que j’insisterai particulièrement.
Le premier, le docteur Bendjelloul, député de Constantine, comme dit précédemment, avait une telle aura dans le constantinois que la population indigène chantait des chansons à sa gloire. Le constantinois ce n’était donc pas rien.
Cette population intéressait Ferhat Abbas de la faire basculer aux idées indépendantistes. Mais ceci ne pourrait se faire que si le docteur Bendjelloul y adhérait lui-même, or ce n’était pas encore tout à fait le cas, mais Ferhat Abbas n’avait jamais perdu espoir de le voir renoncer à ses idées loyalistes pour les idées indépendantistes.
Mais en ouvrant les portes de son journal à Ferhat abbas, sachant qui était l’homme et où il voulait en venir, le docteur Bendjelloul savait ce qu’il faisait,en d’autres termes, qu’en ces années 1930, il était déjà en rupture avec son passé loyaliste.
Mais le docteur Bendjelloul était ligoté par ces élus qu’il représentait.
Lui aussi avait une lourde mission, celle de les convaincre de suivre le mouvement indépendantiste influé par Ferhat Abbas.
Le docteur Bendjelloul se trouvait donc dans une situation inconfortable.
Il était d’accord avec Ferhat Abbas sur l’essentiel, mais comment convaincre les élus ?
Et puis ce n’était pas facile de mettre en jeu son siège de député de Constantine qu’il occupait depuis plus de 10 ans.
Durant huit ans, soit de 1935 à 1942, les deux hommes dirigeront L’Entente côte à côte.
Lorsqu’on a partagé avec un tel homme, toutes ces années de sa vie, on ne peut pas ne pas le ménager. Et Ferhat Abbas avait tout à gagner à garder cet homme prés de lui, convaincu qu’il arriverait à le persuader que l’indépendance était la seule issue.
Rappelons à ce niveau que le docteur Bendjelloul fut parmi les 60 élues qui signèrent une motion en faveur du FLN en 1954.
En fait ce n’était pas tant l’idée d’indépendance en elle-même, que la manière d’y parvenir, qui divisait le gros de l’élite indigène durant la période de l’entre-deux-guerres.
Il en fut de même avec Mohammed El Aziz Kessous, un homme d’une exceptionnelle qualité, juriste de formation, auteur du célèbre ouvrage « La vérité sur le malaise algérien » et qui mena un combat acharné contre le colonat,défendant sa communauté avec ses tripes. Ami de Ferhat Abbas depuis les années collège à Skikda, et que Ferhat Abbas n’arrivait pas à se résoudre à se séparer de sa tête pensante, dont l’Algérie combattante, et ensuite indépendante ne pouvait qu’avoir besoin. Kessous tout en soutenant plus tard le FLN, eut du mal à se résoudre à l’idée d’indépendance pur et simple, attaché à son idéal d’égalité, dont il pensait à l’instar d’Albert Camus, qu’il finirait par avoir raison de l’obstination des colons extrémistes, qui ne voulaient ce pays que pour eux.
Mais Kessous adhérant à la SFIO, je suppose sa liberté entravée.
L’idée d’indépendance n’a jamais quitté l’esprit de Ferhat Abbas comme dit précédemment, mais deux questions l’obsédaient :
1° Comment arriver à cette indépendance sans effusion de sang ?
2° Comment parler d’indépendance, dans ces années 1930, à un peuple pauvre et ignorant qui n’avait qu’une seule préoccupation, à juste raison d’ailleurs, celle de nourrir ses enfants, et qui de surcroît vivait dans la peur de ce code de l’indigénat, véritable épée de Damoclès ?
Et beaucoup de ce peuple pauvre et ignorant, ne savait même pas c’est quoi ce pays France. Et pour ceux qui le savaient, ce pays France constituait la force.
Pour Ferhat Abbas, en ces années 1930, l’indépendance était la seule issue, comment pouvait-il en être autrement, lui qui dés 1920 avait défendu l’algérianité et l’islamité de son peuple face aux algérianistes usurpateurs de l’identité algérienne, et le voilà qui récidive en 1931 avec « Le Jeune Algérien » ?
Pour Ferhat Abbas, l’indépendance, oui bien sûr, mais il ne fallait pas perdre de vue ce peuple cantonné dans la misère et l’ignorance. Ce peuple il fallait « le préparer à de meilleures conditions de lutte » comme il le dit luimême.
Qu’il comprenne pourquoi il devait se battre, et s’il devait se battre, il faudrait qu’il ne le soit pas le ventre creux, se nourrissant d’herbes et de racine comme les bêtes de somme, et en haillons, comme il les décrit encore une fois lui-même.
Et puis ce peuple objet de ses préoccupations, il l’aimait, il voulait le préserver, et lui éviter un nouveau charnier à l’exemple de celui de la guerre de 14-18 où des milliers de ses compatriotes sont morts sans savoir pourquoi ils se battaient.
Raison pour laquelle « L’égalité des droits » était pour lui une première étape nécessaire, mais seulement une étape :
- Égalité des droits devant l’instruction et l’éducation, la revendication majeure,sans laquelle rien ne serait possible ni durant la colonisation pour que l’indigène soit au courant des choses qui le concernent, et puisse apprendre à se défendre,ni demain à l’indépendance du pays.
Car que voudrait dire l’indépendance sans un peuple instruit et éduqué ?
Raison pour laquelle, Ferhat Abbas fera de la question de l’éducation, une mission prioritaire.
Pour lui, quel que soit le combat, l’indépendance par la lutte armée ou par l’autonomie, ce combat ne voulait rien dire, sans éducation.
Et il ne voyait pas non plus cette indépendance sans la contribution de la femme à l’édification du pays. En ces années 1930, Ferhat Abbas est sur tous les fronts, et prendre une autre charge, celle de la femme, très lourde celle-là, et même dangereuse pour sa carrière politique, car à l’époque c’était prendre le risque d’être mal compris par ses compatriotes qui ne voyaient la femme nulle part ailleurs que dans son rôle d’épouse et de mère. Car comment convaincre les parents de laisser leurs filles s’instruire ?
Qu’importe, il décide d’aller jusqu’au bout de ses convictions. Il va au feu et fait de cette cause sienne.
Et c’est avec une joie non contenue que toute l’équipe de L’Entente salua le succès de la première algérienne sage-femme qui obtint son diplôme en 1935,Zohra Ben Toucha.
Et c’est avec la même joie que quelques années plus tard, Ferhat Abbas,annonça lui-même en 1946, dans son journal Egalité, avec une grande fierté que la première femme algérienne, docteur en médecine, venait de naître en la personne de Aldjia Nourredine, aujourd’hui Bénallègue. Une longue interview lui fut d’ailleurs consacrée en ce même journal.
Les noms de ces deux femmes, Zohra Ben Toucha et celui du docteur Aldjia Nourredine Benallègue, devraient d’ailleurs être marqués dans le marbre,dans les lycées et universités algériennes, et salués lors de la journée internationale de la femme, par exemple, mais jamais personne n’a, serait-ce que murmurer leurs noms depuis 1962, alors qu’à leur époque Ferhat Abbas a mesuré la valeur et le symbole, mais c’était Ferhat Abbas.
Pour Ferhat Abbas l’éducation, est une condition sine qua non d’une indépendance réussie.
Et nous sommes tous là pour savoir que le grand homme avait raison, car notre indépendance avec plus de 94% d’analphabètes,l’éducation faisant défaut, le pays s’est retrouvé avec des problèmes insolubles,qu’il traîne derrière lui à ce jour.
Une population, aujourd’hui constituée de 70% de jeunes qui n’ont qu’une idée en tête quitter le pays.
Alors qu’à cette jeunesse Ferhat Abbas avait consacré sa réflexion et son combat politique afin qu’elle vive heureuse dans son
pays.
S’il était en vie aujourd’hui, je n’ose imaginer son état d’esprit en apprenant que des corps sont rejetés par la mer, symbole d’une jeunesse en désespérance.
- Egalité des droits devant le service militaire (trois ans pour les indigènes, et 18 mois pour les français d’Algérie).
- Egalité des droits devant la santé, raison pour laquelle Ferhat Abbas réclamaient régulièrement la construction d’hôpitaux, de dispensaires dans les régions reculées du pays.
- La construction de routes pour permettre aux paysans de sortir de l’isolement,et pouvoir accéder aux hôpitaux, aux écoles, à l’administration, commercer…etc
- Egalité des droits devant la justice bien sûr, car ce code de l’indigénat régissait à sa manière, punitive, les questions relevant de ce domaine.
Il avait aussi une idée derrière la tête, amener la France à édifier le pays par la construction des routes, des hôpitaux, des écoles…etc, avant de le quitter.
Raison pour laquelle durant la première période du journal L’Entente, Ferhat Abbas s’empare de la question économique, développant ses revendications en ce sens.
Mais si préparer les Algériens à de meilleures conditions de lutte, et si la revendication de l’égalité des droits faisait le consensus au sein de l’élite indigène, cette première étape, à laquelle ses détracteurs cantonnent à tort mais sciemment, son combat politique alors que pour lui ce n’était qu’une étape mais nécessaire, ne pouvait réussir que par la représentation parlementaire des élus indigènes au parlement français, là bas en Métropole où elle se devait d’être plaidée.
Pour cela un projet, celui de Maurice Viollette, devenu plus tard projet Blum-Viollette, va faire naître tous les espoirs.
Ce projet qui, justement allait permettre la réalisation de l’espoir de l’élite indigène, cette représentation parlementaire, projet en passe d’être adopté à l’assemblée française en 1937.
Cette élite indigène exulte, mais le colonat veille, et fera capoter le projet de l’espoir, qui sera définitivement enterré en 1938.
C’est la fin des illusions pour l’élite loyaliste (celle des Bendjelloul et des Kessous) qui avait cru jusqu’au bout que la France finirait par répondre à ses revendications.
L’élite indigène est sous le choc. Les choses se précipitent.
Et on pourrait même dire que ce projet va créer une fissure dans cette élite, d’un côté il y a ceux qui ne veulent pas perdre espoir, et voudront ressusciter ce fameux projet,c’est la mouvance Bendjelloul.
De l’autre ceux qui n’en s’en remettent pas, parce qu’ils ont été les défenseurs les plus acharnées de ce projet viollette, et l’abattement les fera se retirer un moment pour méditer l’échec, et ici je parle de la tendance Kessous, ce Kessous pour qui le « vivre ensemble » idéalisé à l’extrême l’aveuglait, il prend d’ailleurs du recul et se retire en France en 1937.
Mais il en est un que rien ne peut abattre, c’est Ferhat Abbas, pour lequel cet échec n’est que la suite logique de l’algérianisme, Ferhat Abbas pour lequel ce rejet du projet viollette n’est pas un échec, mais est une confirmation de ce en quoi il a toujours cru, le colonat ne s’inclinerait jamais.
Il rebondit sans tarder, et en cette même année 1938, il crée son premier parti politique, l’UPA, d’une part pour lancer un message aux colonialistes,
« nous sommes debout, vous ne réussirez pas à nous abattre », d’autre part cette élite indigène hostile à l’idée d’indépendance le fatigue, il veut s’affranchir de cette élite indigène déroutée, et qui ne sait plus ce qu’elle veut, et d’autre part afin de mettre en exécution ses propres idées indépendantistes.
Si jusque là, dans l’esprit de Ferhat Abbas l’idée d’indépendance était bel et bien la seule issue, il voulait par contre éviter le bain de sang, comme dit précédemment, c’était son seul soucis, son soucis majeur, car il ne voulait pas voir son peuple mourir.
Il réfléchissait au moyen d’arriver à cet indépendance en évitant les morts, qui il savait se compterait par milliers, et pourquoi pas le génocide promit par Charles Courtain.
Mais en analysant L’Entente, on constate clairement qu’après l’enterrement du projet viollette en 1938 :
1° L’idéal d’égalité est bel et bien mort dans l’esprit de Ferhat Abbas.
2° L’idée de lutte armée est bel et bien dans son esprit, et le lecteur la ressent par la violence du verbe, car l’homme ne ménage plus personne.
A l’égard du colonat, ses propos n’ont plus de limite, il va jusqu’à la provocation,employant les mots symbole de guerre.
3° Les prémisses de rupture entre Ferhat Abbas et l’élite indigène hostile à l’indépendance commencent à se faire sentir, mais il garde quand même le lien,du moins pour un moment.
Raison pour laquelle, selon le résultat de ma recherche, je considère que l’année 1938, comme une année clé dans l’itinéraire politique de Ferhat Abbas.
A partir de cette date, Ferhat Abbas fait de cette tribune de L’Entente, un véritable « camp de guerre », ses éditoriaux sont d’une violence inouïe contre le colonat.
Si les prémisses de rupture avec l’élite indigène hostiles à l’idée d’indépendance sont bien là, avec l’élite politique française d’Algérie c’est la rupture définitive.
Il l’écrit, il le signe. Et signe son article annonciateur son projet politique « Vivre libre dans notre pays ».
Désormais il appelle les colons à sortir dans la rue et se dit prêt à se battre les mains nues.
Et dans tous ses articles, c’est la même force de conviction que désormais plus rien ne sera comme avant.
Mais j’ai bien dit pour s’affranchir de cette élite indigène et non de s’en séparer, car Ferhat Abbas a toujours été un homme de consensus, jamais juge.
A quoi bon bousculer cette élite, alors qu’il valait mieux l’avoir dans son camp ?
En fait il a toujours pensé qu’il arriverait à la convaincre de l’indépendance nécessaire, s’il le fallait par la lutte armée. Mais ni le docteur Bendjelloul, ni Mohamed El Aziz kessous ne l’entendaient de cette oreille. Mais nous constatons que Bendjelloul laisse faire.
Il se met en retrait, et donne carte blanche à Ferhat Abbas.
Ce dernier en profite pleinement, et ne prend plus de gans, le colonat en prend pour son grade. Retenons à ce niveau que si Bendjelloul soutenait à 100/100 Ferhat Abbas dans ses attaques contre le colonat, qui redoublaient d’intensité à chaque nouvelle édition de L’Entente, il faut croire que la fédération des élus, n’était pas en reste, car il serait difficile d’imaginer que Bendjelloul agisse sans consulter ces élus qui l’avaient élu président de leur fédération.
Mais si les prémisses de rupture avec cette élite étaient bien là, Ferhat Abbas, tant qu’il n’avait pas de parti politique pour le renforcer, continuait malgré tout à la ménager. Car le premier parti l’UPA qu’il venait de créer n’ira pas bien loin, la 2ème guerre mondiale est aux portes de l’Algérie.
Il cherche alors le moyen qui ferait le consensus entre toutes les mouvances politiques indigènes et qui mènerait l’Algérie à disposer librement d’elle-même.
Mais afin d’éviter ce bain de sang qui le répugnait lui-même, il décide de faire l’ultime geste envers l’état français.
Ce sera le rapport adressé au
maréchal Pétain en 1941. Ce maréchal, gouvernant de l’heure de la France alors
que ce pays est confronté à une double guerre, celle que lui déclarait
l’Allemagne et celle contre le nazisme.
Mais, il ne faut pas se méprendre sur ce Rapport, car si Ferhat Abbas a
décidé de le rédiger et de l’adresser au maréchal Pétain, ce n’est pas tant parce
qu’il espérait ou croyait qu’il serait entendu, mais pour au moins deux raisons :
1° Pour prouver à l’élite indigène hostile à l’idée d’indépendance, et qui
malgré l’enterrement du projet viollette continuait à croire au miracle, que ce
Rapport resterait sans réponse et qu’il n’y a rien à attendre et qu’il faudrait
passer à l’étape ultime.
2° Pour prouver aux Français d’Algérie indigénophiles, favorables aux
vivre ensemble, mais hostiles à l’idée d’indépendance, qu’il aurait tout tenté, et
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que ce n’était pas faute d’avoir essayé, car cette élite française intéressait Ferhat
Abbas. Lorsqu’on se bat pour une cause, plus on a d’amis, et mieux c’est.
Ce Rapport, comme dans tous ses écrits d’ailleurs, est d’excellence, il y
fait une analyse scientifique de la situation de l’Algérie où l’indigène est l’enfant
pauvre, et fait des propositions pour sortir son peuple de cette terrible misère où
la colonisation l’enfonçait. Il le rédige avec le plus grand sérieux, car après tout,
peut-être que…
Il écrit : « Ce document a été ma dernière tentative auprès du
gouvernement légal de la France pour obtenir de profondes structures
susceptibles de parer au désespoir de notre peuple »
Mais comme prévu, ce Rapport resta sans réponse. Aucune surprise pour
l’homme préparé à cette éventualité. Qu’à cela ne tienne, l’esprit fécond de notre
homme réfléchit à un autre moyen et dans l’esprit du génie naît en 1943, le
Manifeste.
Une idée lumineuse qui lui permit de réunir autour de lui l’élite indigène
hostile à l’idée d’indépendance par la lutte armée, séduite par l’idée « du vivre
ensemble » pour lequel elle-même militait, Kessous revient soutenir Ferhat
Abbas, ainsi que le PPA de Messali, et enfin toutes les tendances politiques
indigènes. Pour Ferhat Abbas le Manifeste avec sa visée autonomiste,
progressiste et humaniste, est une réussite extraordinaire, du seul fait qu’il a pu
réussir l’union de tous autour d’une idée généreuse, qui mènerait l’Algérie à
disposer librement d’elle même sans effusion de sang. Il écrit :
« Arabo-berbères et européens deviennent tous des citoyens algériens,
mais dans un esprit de concorde réciproque. Accorder aux Algériens une
citoyenneté dans leur pays. »
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Ce Manifeste, s’il a fait l’adhésion générale, ce n’est pas pour rien, car ce
« vivre ensemble » a des conditions draconiennes.
D’abord c’est un « vivre ensemble » sur le même plan d’égalité.
1- Condamnation et abolition de la colonisation
2- Application pour tous les pays, petits et grands du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes.
3- Dotation de l’Algérie d’une Constitution propre :
- Liberté et égalité absolue de tous les habitants sans distinction de
races ni de religion.
- Suppression de la propriété féodale
- Reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle au
même titre que la langue française.
- Liberté de la presse et le droit d’association.
- Instruction gratuite et obligatoire pour les enfants des deux sexes.
- Liberté du culte.
4- Participation immédiate et effective des musulmans algériens au
gouvernement de leur pays.
5- Libération de tous les condamnés et internés politiques à quelque parti
qu’ils appartiennent
Ferhat Abbas écrit en 1943 :
« L’heure est passé du décret Crémieux, la nationalité et la
citoyenneté algérienne lui offrent plus de sécurité et donnent une plus
claire et plus logique solution au problème de son évolution et de son
émancipation »
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Ce Manifeste qui fut une admirable réussite valut à Ferhat Abbas trois
mois de prison, et Ferhat Abbas écrit à ce sujet : « L’administration coloniale,
après avoir pris en considération ce Manifeste, entreprit par des moyens tortueux
d’en empêcher la réalisation». Mais encore une fois qu’à cela ne tienne, il fera
plus et mieux, car à sa sortie de prison il crée l’association des AML, « une
association chargée de faire connaître devant l’opinion publique algérienne et
française le Manifeste du peuple algérien du 10 février 1943 et de réclamer la
liberté de parole et d’expression pour tous les Algériens » (Ferhat Abbas). Cette
association des AML qui fut selon les propos de spécialistes une véritable carte
d’identité nationale de par le nombre fulgurant d’adhérents sur tout le territoire
national.
Et enfin il crée son propre journal Egalité le 15 septembre 1944 qui porte
en exergue « Egalité des hommes- Egalité des races- Egalité des peuples ». Ce
journal qu’il avait toujours rêvé de posséder pour être un homme complètement
libre et défendre ses idées comme il le voulait lui, en toute indépendance.
Et si je peux me permettre, je pourrai dire que ce jour-là Ferhat Abbas
était heureux, très heureux, non pas pour lui-même, mais pour ce peuple qu’il
aimait, et qu’il allait à présent défendre sans ménager personne.
Le 27 février 1948, le titre du journal est modifié, ou plutôt, il s’enrichit
d’un nouveau d’un nouveau terme, il s’appellera pour un laps de temps
seulement « Egalité- La République algérienne ». Car quatre mois plus tard, soit
le 18 juin 1948, le journal, amputé du terme « Egalité », prit définitivement pour
titre « La République algérienne ». Ces changements de titre ne sont pas
anodins, comme nous le verrons plus loin.
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La création de ce journal est un évènement majeur dans sa vie d’homme
politique. Ce journal sera dans un premier temps celui du Manifeste, ensuite
celui de l’UDMA.
Ce journal qu’il dirigea durant 11 ans et trois mois, tout en menant une
activité politique intense. Ou disons plutôt que la direction de ce journal était
indissociable de ses activités de leader de l’UDMA, puisque ce journal était
celui du parti.
Egalité –La République algérienne, qui fut le plus grand journal indigène
que l’Algérie ait connu, et qui n’avait rien à envier à la presse coloniale, à la
presse métropolitaine, et même à la presse mondiale de son époque, et c’est une
spécialiste en ce domaine qui le dit sans risque de se tromper. Et ce grand
homme de presse a été ignoré par les historiens, alors que le combat politique de
Ferhat Abbas était entremêlé de journalisme militant de 1920 à 1955.
L’indépendantiste a grandi, non seulement par l’âge, car il a 43 ans, mais
aussi aux yeux de son peuple, pour lequel il représente désormais l’espoir. En
1943 Ferhat Abbas est prédit par tous pour un destin national, et il est aimé du
peuple algérien, et ceci est très important.
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Le 8 mai 1945 sonne le glas de l’idéal d’égalité
Création de l’UDMA
Pour une République algérienne démocratique et sociale
Mais cette formidable union autour de Ferhat Abbas ne tarda pas à être
brisée. Le 8 mai 1945 avec ses milliers de morts qui fit des rues de Sétif un
fleuve de sang, qui endeuilla tout l’est algérien, et il y eut des morts même à
Alger et Oran. Mais c’est bien dans votre ville que le premier drapeau algérien
fut levé, et c’est bien dans votre ville que le mot « Indépendance » fut crié à la
face d’hommes en treillis prêts à tirer, et ils ont tiré.
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Ce 8 mai 1945, valut à Ferhat Abbas onze mois de prison, accusé d’avoir
provoqué ces évènements, les AML sont dissous, son journal « Egalité » est
suspendu. Ferhat Abbas est éliminé de la scène politique algérienne durant onze
mois, le temps d’éparpiller les troupes, le temps de toutes les intrigues…On
pensait l’homme politique fini. L’avoir pensé, c’était aller vite en besogne.
Raison pour laquelle, nous ne pouvons pas ne pas nous poser la question
de savoir si le 8 mai 1945 n’aurait pas été programmé, dans le seul but, l’unique
but d’enterrer définitivement le Manifeste en brisant les AML, et d’éliminer
définitivement Ferhat Abbas de la scène politique. Il a été mis en sûreté, prêt à
être exécuté. Mais il est libéré onze mois plus tard, car il fut prouvé que ses
mains étaient nettes de sang.
Libéré, il se remet à la tâche sans tarder, c’est à se demander où l’homme
puisait toute cette énergie. Onze mois de prison et en sûreté prêt à être exécuté et
au lieu d’être découragé, ces onze mois de prison n’ont rien fait d’autre que le
revigorer. Durant ces onze mois, il va réfléchir, et tracer son prochain plan de
route. Et à ce niveau, j’émets l’hypothèse selon laquelle c’est en prison qu’il
trace les premières idées de son parti l’UDMA, qu’il crée quelques trois mois
après sa libération. Tout en sachant qu’il n’a jamais cessé de penser à la création
d’un parti, parce qu’il savait que seul un parti lui donnerait une assise nationale.
Il rouvre les portes de son journal Egalité, et cela c’était aussi très important.
Avec l’UDMA, Ferhat Abbas va réussir le pari d’un parti d’envergure
nationale et même internationale, pour libérer le pays de l’oppression coloniale.
Et cette fois-ci, dans l’esprit de Ferhat Abbas, les choses sont claires, ou l’élite
indigène hostile à l’idée d’indépendance, par la lutte armée suit le mouvement,
ou alors il s’en séparera quitte à perdre ses amitiés, car le 8 mai 1945 sonna le
glas de l’égalité et l’UDMA le confirmera deux ans plus tard, soit 19 mars 1948,
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Ferhat Abbas lance un appel à son peuple pour la lutte armée dans le cas où la
France refuserait l’autonomie.
1948 est la date la plus importante de son itinéraire politique, car elle
signe :
1° La rupture définitive avec l’élite indigène d’avant guerre, hostile à
l’indépendance.
2°La rupture avec l’élite française indigénophile, qui était hostile à l’idée
d’indépendance, mais militait pour le vivre ensemble, à l’exemple d’Albert
Camus.
3° La rupture définitive et irrémédiable avec l’idéal d’égalité.
4° L’UDMA devient à partir du 19 mars 1948 (n°118) un parti on ne peut
mieux dire, révolutionnaire, dans le sens où Ferhat Abbas était prêt à basculer, et
même qu’il avait déjà basculé dans l’idée d’une révolution. En effet, il lance
l’appel au peuple algérien au combat pour la création de la République
algérienne par la lutte armée et précise « dans une atmosphère de haine et de
divorce avec la France, dans le cas où cette dernière refuserait l’autonomie», de
toute manière cette République algérienne sera créée, dit-il, parce que l’Etat
algérien est la formule de l’Avenir, alors que jusque-là l’UDMA se revendiquait
du Manifeste, l’indépendance via l’autonomie, il semble clair que Ferhat Abbas,
à partir de 1948, tourne le dos à ce Manifeste, ce fameux « vivre ensemble » dés
lors révolu après les évènements sanglants du 8mai 1945.
Dans un éditorial flamboyant, le voilà qui écrit d’une plume déterminée :
« Le régime colonial sera vaincu. Il est né dans le sang de la multitude
de nos fellah, il finira sans doute dans le sang de ces innocents. Mais il finira
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de toute manière. Il mourra parce qu’il porte les germes de sa propre
destruction »
Il est on ne peut plus clair que Ferhat Abbas parle de Révolution, car je ne
vois pas se qui peut se terminer dans le sang, si ce n’est une révolution.
a) En parlant de lutte armée, Ferhat Abbas savait fort bien que l’élite
indigène hostile à l’idée d’indépendance par la lutte armée ne suivrait pas
le mouvement. La réponse de Kessous ne se fit pas attendre. Il quitte le
navire. Rupture irrémédiable entre les deux hommes qui avaient fait
ensemble un long chemin en politique depuis 1930, et dont l’amitié datant
des années collège semblait indéfectible.
Seconde rupture, Ferhat Abbas écrit un article jetant le docteur
Bendjelloul aux gémonies, qui déjà quelques années auparavant avait
retiré sa signature du Manifeste au point de faire courir le risque d’une
scission au sein du mouvement, et le voilà soudain proposant de ressortir
de la tombe le fameux projet viollette, et auquel Ferhat Abbas répond :
« Le passé ne reviendra pas ».
L’homme qui soutint pourtant les idées indépendantistes de Ferhat
Abbas, à condition d’éviter la lutte armée, fait marche arrière. C’est qu’il
est l’homme qui connaissait le mieux Ferhat Abbas, mieux que ne le
connaissait Kessous, cet ami de toujours. Il a travaillé avec lui durant huit
ans dans un journal, et le journalisme, ce ne sont pas des horaires de
travail, huit à dix heures par jour et on rentre chez soi. L’Entente étant un
journal politique, de la politique pure et dure, un journal de revendication
et non pour faire des mots croisés, tout cela pour dire que c’est que
Bendjeloul et Ferhat Abbas faisait de la politique ensemble au quotidien.
Bendjelloul a vécu au premier plan l’échec du projet viollette, la violence
de réaction de Ferhat Abbas, les articles qu’il a écrit par la suite faisant de
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L’Entente un camp de guerre, au point que Kessous a quitté sur le champ
le journal pour la France, afin de ne pas cautionner ce qui était contraire
ses idéaux, car il ne voulait pas entendre parler de lutte armée.
Bendjelloul savait mieux que personne que Ferhat Abbas était
déterminé à en découdre avec le colonat, quitte à y laisser sa vie. Il savait
que Ferhat Abbas déclencherait cette lutte armée que tous les élus
redoutaient à l’exception de Ferhat Abbas.
En effet, en 1948, Ferhat Abbas est déjà sur une autre dimension, et
cette élite réfractaire il ne va plus la ménager. Ces « bni-oui-oui » comme
il les appelait, il va se faire un malin plaisir de les tourner en dérision, et
donner dans son journal le nom des traîtres.
Il n’a pas peur qu’on lui réglât son compte. En fait il n’a peur de
rien. Dans cet après 2éme guerre mondiale, il est sur tous les fronts. Prêt à
mourir pour libérer son peuple de l’oppression coloniale.
b) Cette élite indigène, tout compte fait Ferhat Abbas n’en voulait plus.
L’intérêt de la nation algérienne était plus précieux à ses yeux que cette
élite qu’il avait assez ménagée, et qui lui avait fait perdre un temps
précieux, et ceci il le savait. Mais il savait aussi que sa contribution lui
avait été nécessaire, une partie de sa vie politique.
Ferhat Abbas n’a jamais été ingrat, raison pour laquelle il aura les mots qu’il
faut à l’égard de Mohammed El Aziz Kessous, dans « L’indépendance
confisquée », rappelant son amitié à son égard, et l’engagement de l’homme
pour la cause algérienne. Il aura aussi beaucoup d’indulgence, plus tard, à
l’égard du docteur Bendjelloul saluant son courage d’avoir signé la motion des
60 élus soutenant le déclenchement de la révolution algérienne.
c) En parlant d’autonomie, Ferhat Abbas n’était pas sans ignorer que le gros
colonat ne l’accepterait jamais. Ce gros colonat qui fit capoter le projet
38
Blum-Viollette en 1938, lançant avec arrogance qu’il n’accepterait jamais
qu’un seul arabe soit maire. Comment dans ce cas, accepterait-il que les
Algériens dirigeraient leur propre destin ? La proposition d’autonomie
n’était donc qu’un leurre (donner l’expression en arabe). Le politicien
chevronné savait ce qu’il faisait.
Car le projet Viollette lui-même n’a-t-il pas été un leurre, une moquerie,
laissant l’élite indigène en attente durant plusieurs années, lui donnant
tous les espoirs, et il avait suffit que les maires d’Algérie démissionnent
en masse et voilà les gouvernants de l’heure capitulant devant leurs
exigences en retirant définitivement ce projet ?
En 1948, il lance donc son appel à la lutte armée, dans son journal qui
prend désormais pour titre « La République algérienne », il hôte le terme
« égalité ». Vous l’avez compris, l’homme est déjà dans la guerre.
Il est rejoint par deux poids lourds Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis,
qu’un certain historien appelle ironiquement « ses deux lieutenants ». Mais ils
ne seront pas les seuls. Les membres de l’UDMA sont issus de toutes les
couches sociales de la communauté indigène. Le peuple algérien voit en ces
hommes, ceux qui mèneront l’Algérie à disposer librement d’elle-même. Il a la
foi que la fin de l’oppression coloniale ne saurait tarder.
Il est désormais entouré par des hommes de la nouvelle génération,
instruits, déterminés, et prêts à en découdre avec l’adversaire. Il saura
merveilleusement s’adapter à l’émergence de cette nouvelle génération, et c’est
cela qui fera la différence avec un Messali, qui lui, s’opposera à la jeunesse
MTLD, une jeunesse pressée de passer à l’action, que Messali voulait freiner, et
qui finit par se détacher de lui et déclarer la guerre le 1er novembre 1954, au nom
du CRUA, sans se référer à lui.
39
C’est cela entre autres qui perdra Messali.
Etrange coup du sort, cette jeunesse MTLD, se tournera vers Ferhat
Abbas, par l’intermédiaire de Abane Ramdane, pour lui demander de la soutenir
et l’aider dans cette guerre. Ce que notre grand homme, comme vous le savez
tous, fit sans hésitation.
Mais revenonsà l’année 1948, Ferhat Abbas était sûr d’être prêt du but, les
portes sont déjà ouvertes du côté du Caire, de Tunis, de Rabat, et même
d’Islamabad. Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis, que nous préférons appeler
ses deux ministres plutôt que ses deux lieutenants, car la République algérienne
démocratique et sociale est effective dans les textes de l’UDMA, et ces deux
hommes lorsqu’ils se rendaient en mission à l’étranger, il l’était certes au nom
de l’UDMA, mais aussi en tant que ministres de la future république algérienne.
Mais dés que Ferhat Abbas lance en 1948 son appel à la lutte armée, l’OS,
organisation spéciale (ou secrète) branche du MTLD (ex-ENA-PPA) déclenche
l’attaque de la poste d’Oran. Coïncidence étrange en effet.
Ce dont je suis sûre aujourd’hui, c’est que L’Entente et Egalité- La
République algérienne, sont un passage obligé pour qui veut comprendre
l’itinéraire politique de Ferhat Abbas, et non seulement, car toute la question
algérienne est là. Cette presse est donc un enseignement
Ferhat Abbas l’homme politique dédoublé de l’homme de presse fut et
reste une perle rare comme le monde n’en a jamais connu, et il faut insister pour
le dire. Un grand homme que l’Algérie a eu le bonheur d’enfanter et qu’aucune
nation au monde ne pourrait concurrencer notre pays, d’avoir enfanté le même.
Ferhat Abbas est le seul homme politique au monde à avoir mené un si
long combat de 1920 à 1962, contre l’oppression coloniale, haché par les
40
brimades et la prison, une guerre de libération nationale de prés de huit ans. Et
ceci sans oublier la prison et la résidence surveillée durant l’indépendance
confisquée. Qui dit mieux ? Personne.
Toutes ces années où il battait le fer avec le colonat, et ceci dés 1920,
alors qu’il n’avait que 20 ans, devenant au fur et à mesure de son ascension « La
tête de Turc » de l’administration coloniale, l’homme à éliminer du circuit coûte
que coûte, car trop instruit, trop intelligent, trop subtil, de ceux à qui on ne la fait
pas, quitte à le déstabiliser de médisances en médisances, quitte à diffamer son
honneur.
Révolution algérienne
Raison pour laquelle, Abane Ramdane, en fin stratège lui-même, ne voyait
pas la révolution algérienne se faire et atteindre son but, sans Ferhat Abbas et les
udémites, parce qu’il savait ce que l’homme et ses compagnons avaient donné
41
d’eux-mêmes à leur patrie avant 1954, ce que Ferhat était, en tant qu’homme
intègre et désintéressé.
Ferhat Abbas mit à son tour, au service du FLN d’abord ses troupes
d’élites dans le sens de têtes pensantes, bien sûr, faites d’hommes de grande
envergure et qui prouveront leurs compétences durant cette révolution, et ensuite
les adhérents et de sympathisants qui se comptaient par milliers sur le territoire
national, et auxquels il donna le mot d’ordre de rejoindre le FLN.
Il mit ensuite au service du FLN sa connaissance poussée de l’adversaire,
son aura nationale et internationale, son expérience en politique rôdée depuis
1920, et qui avait fait de lui quelques années plus tard, un interlocuteur de
qualité auprès des nations du monde en tant que président du GPRA.
Et il a remis surtout au FLN et ceci est d’une extrême importance un
carnet d’adresses qu’il était seul à détenir, puisqu’en tant que leader de
l’UDMA, mais aussi depuis les années 1930, il avait déjà eu à rencontrer des
personnalités internationales de renom et non seulement politiques. Ferhat
Abbas avait donc des portes ouvertes et non des moindres, partout dans le
monde, qui vont servir grandement la révolution algérienne.
Imaginons un seul instant que Ferhat Abbas aurait refusé la main tendue
de Abane Ramdane, et qu’il aurait refusé de dissoudre l’UDMA, et bien il serait
clair que les membres du CRUA au nombre de 22 au départ n’auraient pas été
bien loin, même rejoints par tous les MTLD, car l’UDMA était un parti
d’envergure nationale au nombre d’adhérents fulgurant, et sur le plan
international, Ferhat Abbas était déjà considéré comme le représentant officiel
du peuple algérien. Et cela n’avait pas échappé à Abane Ramdane.
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Imaginons un seul instant les nations du monde qui avaient jusque là, pour
seul interlocuteur Ferhat Abbas, qui avec son parti avait fait déjà une bonne
partie du travail diplomatique, et aucune guerre ne se gagne seulement au fusil,
et le travail diplomatique ne peut se faire qu’avec l’action d’intellectuels
chevronnés, et pour la question politique, la diplomatie est une seconde nature.
Ferhat Abbas, n’a été élu président du GPRA que parce qu’en 1958, il
apparaissait à tous qu’il était le seul homme à pouvoir occuper un poste d’une
telle importance, ce qui explique sa nomination à l’unanimité des hommes de
novembre, comme l’atteste, Ali Haroun, membre du CNRA.
Ferhat Abbas n’a pas été élu président du GPRA en 1958 seulement pour
ses capacités multiples, en effet, il était membre du CEE et du CNRA, il est
surtout connu pour être un homme de savoir, pluridisciplinaire, ses
connaissances approfondis des questions du monde, sa connaissance poussée de
l’adversaire, mais aussi, parce qu’il fut le plus historique des historiques
puisqu’il entra en politique à l’âge de 20 ans au nom d’une question primordiale
à ses yeux, la question de l’algérianité, sans oublier l’homme de coeur, toujours
auprès des plus démunis de son peuple, président de l’association El Kheiriya de
Sétif, qui s’occupait aussi de la circoncision des petits orphelins.
Mais il n’a pas été élu président du GPRA, seulement pour les raison que
nous venons de citer, mais à l’assassinat du valeureux Abane Ramdane, il
apparut aux hommes de novembre comme l’homme du consensus à même de
pouvoir ressouder les troupes affligées par l’assassinat de leur chef par sa propre
famille révolutionnaire.
Mais encore parce que Ferhat Abbas et Abane Ramdane étaient liés d’une
amitié profonde, faite de respect et d’admiration l’un pour l’autre depuis le
fameux jour de 1955 où Abane le rassembleur accompagné de Omar El karma
43
frappa à la porte de la maison de Ferhat Abbas, pour lui demander de dissoudre
l’UDMA et de rejoindre le FLN au Caire.
Cette amitié connue de tous ne pouvait que rassurer les troupes de ne pas
voir l’un de ceux qui avait de l’animosité envers Abane, accéder à ce poste non
seulement de prestige, mais duquel dépendait l’avenir de tout un peuple. Et pour
l’occuper, il fallait la bravoure, car la vie du président du GPRA, est une vie
sous la menace, car il va sillonner le monde, pour plaider la cause, et un tueur
embusqué peut se trouver n’importe où, dans n’importe quel pays.
Et de surcroît, Ferhat Abbas était le seul homme dont tous reconnaissaient
l’intégrité et l’abnégation.
Ferhat Abbas a été un excellent président. Qui pourrait en douter ? Il a été
un excellent président, et ce n’est pas moi qui le dis, mais ses compagnons de
lutte et les personnalités internationales qui avaient eu à le rencontrer. En chef
d’état, il avait toutes les qualités pour remplir la mission qui lui a été confiée, et
il n’est pas nécessaire de citer de nouveau toutes les qualités qui étaient siennes,
jusque dans la prestance.
L’Algérie combattante avait donc de quoi être fière d’être si bien
représentée.
Personne donc ne pouvait imaginer que Ferhat Abbas ne serait pas le
premier président de l’Algérie indépendante, tant il était acquis pour tous que cet
homme exceptionnel ne pouvait que diriger ce pays fraîchement indépendant qui
allait avoir besoin de toutes ses compétences pour relever le défis de garder le
pays debout après le départ des Français, et surtout de sortir la population dite
indigène de la misère et de l’ignorance où cette même France l’avait laissée. Et
il semblait clair à tous que seul Ferhat Abbas avait les compétences requises
44
pour faire accéder l’Algérie indépendante au développement et faire de ce pays
meurtrie une grande nation.
De ce fait personne ne pouvait penser que Ferhat Abbas serait destitué un
jour de la présidence du GPRA, et à sept mois à peine du cessez- le feu, cela
était inimaginable.
Le 27 août 1961, Ferhat Abbas est remplacé à la tête du GPRA par
Benyoucef Benkhedda.
Nous étions donc à sept mois du cessez-le feu, ce qui veut dire que
l’indépendance était acquise aux yeux de tous. Ce n’était plus qu’une question
de mois. Raison pour laquelle il est plus que normal de se poser la question de
savoir ce qui avait motivé cette destitution ?
Dans mon livre « La crise de l’été 1962 » j’ai essayé de comprendre.
Parce que depuis que j’entends parler de cette fameuse crise, je me demandais
comment un homme tel que Ferhat Abbas avait pu choisir un camp au détriment
d’un autre sans raison valable, lui le rassembleur, le réconciliateur, le
modérateur ? Etait-il possible que Ferhat Abbas lui aussi convoitait le pouvoir ?
Lui le leader de l’UDMA, qui avant de rejoindre le FLN avait déjà été accueilli
en chef d’état, et qui pourtant renonça au titre et aux honneurs, pour ne devenir
qu’un simple militant au sein d’un mouvement révolutionnaire qui n’avait même
pas encore en 1955 l’adhésion de tout le peuple algérien ? Comment pouvait-il
convoiter le pouvoir en 1962, alors qu’il y avait renoncé en 1955, après sa
rencontre avec Abane Ramdane ? Pouvait-il avoir rejoint Tlemcen uniquement
pour régler ses comptes avec Benkhedda, comme le disent ses détracteurs,
comme si Benkhedda avait tant de pouvoir au sein de la révolution devant les
trois fameux colonels, les 3B, qui y dictaient leurs lois, avec tout le respect que
je dois à leur mémoire, mais leurs frères de combat ont témoigné en ce sens ?
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Est-ce qu’un tel homme d’état qui a prouvé ses compétences aux yeux du
monde et dont on s’inclinait devant les multiples connaissances, la clairvoyance,
la finesse en politique, celui qui avait fait abnégation de sa vie pour que vive
libre la patrie algérienne, pouvait-il rentrer dans les magouilles de la dernière
heure pour la prise du pouvoir ?
Pour moi il était clair que cet homme ainsi décrit ne ressemblait en rien au
Ferhat Abbas que j’avais appris à connaître au fur et à mesure de mes années de
recherche approfondie.
Et il ressort de ma réflexion que ceux qui ont reproché à Abane d’avoir
fait appel à Ferhat Abbas, autrement dit ceux qui l’ont tué, sont ceux-là mêmes
qui ont destitué Ferhat Abbas de la présidence du GPRA, et l’indépendance
venue, voulaient, et ont réussi d’ailleurs, à être seuls au commande d’un navire
que Ferhat et les udémistes, ainsi que les oulémas, avaient contribué grandement
à mener à bon port.
Et il est clair que ce sont ceux-là mêmes qui, à l’indépendance du pays,
ont mené une croisade de la haine sans précédent dans le monde, contre un
homme intègre et désintéressé qui avait fait don de sa vie à sa patrie.
Ce sont ceux-là même qui se sont saisi de la question de la nation
algérienne, diffamant l’honneur de l’homme, non pas pour l’éliminer du circuit,
car pour cela ils auraient pu le tuer, mais ils ont préféré le laisser vivre afin de le
voir pointer du doigt par la jeunesse de l’indépendance, comme un traitre à cette
nation. Et eux se gargarisant de plaisir.
Et à ce niveau on pourrait se poser la question de savoir d’où il détenaient
ce pouvoir qui leur permettait d’exercer toutes leurs volontés ? Assurément ils
n’étaient pas seuls. Assurément ils étaient soutenus par tous les ennemis de notre
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peuple qui ne voulaient pas le voir heureux. Tous ceux qui ne voulaient pas voir
une Algérie républicaine, démocratique et moderne, se rangeant auprès des
grandes nations.
Et pour ne lui laisser aucune chance de ressurgir, car il savait l’homme,
capable de trouver une solution pour s’extirper de leur complot, ils décidèrent de
salir son honneur auprès de son peuple, en faisant véhiculer les propos sur la
nation algérienne, régulièrement, à toute occasion, dans tous les livres….Et
depuis une dizaine d’années avec Internet, ils ont redoublé de férocité.
Durant 50 ans, mais que dis-je, depuis plutôt 75 ans, c’est-à-dire depuis
1936, ils n’ont jamais senti la fatigue un seul jour, une manière de dire, on prend
du repos, on change de disque. Non c’est la même musique, funèbre bien sûr, de
celui qui a dit que la nation algérienne n’existe pas, abusant de la confiance de
nos jeunes étudiants, et de leurs lecteurs de tout bord.
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La nation algérienne
Cette question de la nation mérite que je m’y attarde aujourd’hui, même si
j’aurais voulu ne point embrumer ce bel hommage que nous rendons au grand
homme, ne pas avoir à remuer le couteau dans la plaie, car ma propre souffrance
a été immense lorsque j’ai découvert le complot ourdi contre lui depuis 1936 et
qui perdure à ce jour.
Ma tristesse lorsque dans « L’indépendance confisquée », j’ai découvert
Ferhat Abbas dans toute sa grandeur, obligé de s’expliquer à ce sujet, comme
s’il avait des comptes à rendre à des hommes sans honneur.
Non, l’homme ne s’est pas plié, ils ne sont pas arrivés à l’atteindre, mais
Ferhat Abbas savait que le message falsifié s’adressait à la jeunesse algérienne
de l’indépendance, cette jeunesse objet de ses préoccupations depuis toujours. Il
lui devait donc sa vérité.
Et l’on ne peut que parler de complot du fait que des historiens de renom,
des intellectuels algériens, des compagnons de lutte de Ferhat Abbas, des
penseurs que lui-même respectait et louait l’oeuvre, de les voir revenir les uns
après les autres véhiculant des propos dont aucun d’eux, et je dis bien aucun
d’eux n’a vérifié la véracité, parce que s’ils l’avaient fait, ils auraient découvert
le mensonge.
Mais là où le bât blesse, c’est qu’aujourd’hui une certaine élite,
algérienne, malheureusement, qui véhicule le message falsifié, reprenant le
flambeau pour matraquer la tombe, on ne va pas nous dire que cette élite n’a pas
été préparée pour. Cette dernière non plus n’a rien vérifié, si elle l’avait fait, elle
aurait découvert le mensonge, mais alors pourquoi véhiculer ce que l’on n’a pas
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vérifié soi-même ? Qu’est-ce qui explique cette union sacrée de la haine ? C’est
que le but justement n’est pas de dire ce qui est vrai, mais de véhiculer le faux.
Comme des soldats au garde-à-vous devant leur supérieur.
Comme des chiens de garde devant la maison du maître.
Comme des rois fainéants ignorants le labeur, alors que se diriger
simplement vers les archives et la vérité aurait parlé d’elle-même.
Ou alors ils auraient pu se taire.
Et ce qui encore afflige, c’est que les écoliers algériens, à leur si jeune âge
sont pris en otage de la désinformation, puisqu’il existe depuis quelques années,
sur les étalages des librairies algériennes, mis bien évidence, des petits
fascicules consacrés aux héros de la révolution algériennes, et dont celui
consacré à Ferhat Abbas, m’a choquée au plus haut point, pas seulement par ce
qu’il comporte de calomnieux, sur le grand homme, mais parce que son contenu
est un danger pour les enfants algériens, et même un crime contre eux, du fait
qu’ils sont trop jeunes pour comprendre ce dont cet auteur leur parle.
Et ce qui encore afflige, c’est que les représentants mêmes des droits de
l’homme, ceux censés défendre la dignité de l’être humain, se sont mis de la
partie, rejoignant la horde des comploteurs.
Cette horde de comploteurs, faisant table rase de ces 42 ans de combat
politique de Ferhat Abbas au service de son peuple, oubliant que c’est grâce à
cet homme, et à ses compagnons, que cette horde de comploteurs est instruite et
libre, sinon elle serait encore sous la coupe du code de l’indigénat, avec pour
seule nourriture de l’herbe et des racines, telle une bête de somme.
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Cette croisade de la haine contre ce grand homme est une honte, une
grande honte vis-à-vis des nations du monde qui nous regardent, et qui voient
ces intellectuels algériens, 50 ans après l’indépendance de leur pays, et après ce
qu’a vécu cet homme de malheureux, en train d’entacher sa mémoire, alors que
ces mêmes nations honorent Ferhat Abbas en lui rendant hommage. Pour seul
exemple le royaume chérifien qui lui a délivré en 2005, à titre posthume, le
Wissam alaouite, haute distinction remise au palais royal à son fils Abdelhalim
Abbas.
Mais il est vrai que véhiculer ces propos sur la nation algérienne est
devenu un passeport pour l’obtention d’un poste ou d’une promotion. En fait cet
acte est criminel, puisqu’il s’agit ici de l’honneur d’un homme, et de l’histoire
d’un peuple. Et qu’en agissant ainsi, ils se mettent sans le savoir au service
d’une idéologie, à penser qu’ils n’en fassent pas partie.
C’est à se demander d’où vient cette haine et qui attise le feu, et à qui
profite aujourd’hui le crime, de matraquer la tombe d’un homme mort depuis 26
ans et qui n’a jamais fait de mal à personne, ménageant jusqu’à l’occupant de
notre terre au nom d’un humanisme qui lui collait à la peau comme un autre luimême.
Il est nécessaire de rappeler quelque peu ici ce que j’ai écrit dans mon
livre « Ferhat Abbas. L’injustice » où je me suis longuement attardée sur cette
question de la nation algérienne, qui constitue le coeur de mon ouvrage,
démontrant scientifiquement, sur la base de preuves tangibles, que Ferhat Abbas
ne pouvait avoir écrit quoique ce soit au sujet de la nation algérienne un 23
février 1936 dans le journal L’Entente, puisque cette date retenue par la majorité
des historiens, est un dimanche, jour de repos hebdomadaire, et que L’Entente
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hebdomadaire, paraissait le jeudi. Ceci est une preuve parmi d’autres que j’ai
données dans mon livre.
Et admettons, comme ils le disent que Ferhat Abbas aurait dit que la
nation algérienne n’existe pas, se pose alors la question de savoir pourquoi ces
historiens n’ont jamais brandi l’original de l’article en question. S’il n’a pas été
brandi de 1936 à ce jour, c’est que cet article n’existe pas, puisque le 23 février
1936 est un dimanche, jour de repos hebdomadaire durant la période coloniale.
Et il est étonnant de constater que cette question de la nation surgisse
justement en 1936, l’année du Congrès musulman, une année de l’union des
élites indigènes francophone et arabophone, quelque soit sa tendance politique,
l’union sacrée dans le but de libérer la patrie.
Cette union sacrée si chère à Ferhat Abbas de 1920 à son livre posthume
« Demain se lèvera le jour » sur laquelle, il a encore insisté.
Comment se relever de la traîtrise ? Le grand homme se relèvera, mais il
vivra très mal le fait qu’on ait fait de Ben Badis, cet homme pour lequel il avait
respect et amitié, celui qui l’aurait fustigé par rapport à la question de la nation.
Les propos de Ben Badis s’adressaient aux indigènes naturalisés qui, pour
cette naturalisation avaient renoncé à leur foi. Comme les avaient d’ailleurs
fustigés, l’émir Khaled à son époque.
Mais ici, les détracteurs de Ferhat Abbas se sont trompés de cible, car
Ferhat Abbas ne s’était pas naturalisé français. Et le président de l’association
des Oulémas n’était pas sans l’ignorer. Donc en s’exprimant au sujet des
naturalisés, ce n’est pas à Ferhat Abbas que Ben Badis s’adressait.
Mais au fond que nous importe que Ferhat Abbas aurait écrit ou non en
1936 que la nation algérienne n’existerait pas, lorsque nous savons ce qu’il
51
donna de lui-même à cette même nation, et qu’il a bel et bien répondu présent
au moment où cette nation avait besoin de tous ses enfants pour faire sa
révolution. Et c’est cela le plus important.
Il est clair que les Algériens ne sont pas dupes, sinon comment expliquer
cet engouement autour de l’édition algérienne de l’oeuvre de Ferhat Abbas ?
Si les Algériens ne sont pas dupes et que la théorie du complot est
désormais acquise pour nombre d’entre eux, vous autres Sétifiens qui avaient
connu Ferhat Abbas, ou ceux, plus jeunes dont les parents n’ont pas pu ne pas
leur transmettre le message concernant cet homme prodigieux, dont la fibre
nationaliste est au dessus de tout soupçon, vous les sétifiens de son coeur, vous
êtes mieux placés que quiconque pour savoir.
Conclusion
Voilà l’itinéraire d’un homme d’une exceptionnelle qualité, un homme
qui ne s’est tant démené que pour voir son peuple heureux. Il est notre fierté,
n’en déplaise à ses détracteurs. Et puisque l’occasion se prête, permettez-moi au
nom de mon algérianité, de lui dire « Merci », et surtout de nous pardonner nos
anciens silences dont ses détracteurs ont profité.
Mais aujourd’hui le grand homme est revenu parmi nous dans sa superbe,
et chaque jour nous réfléchissons à ce que nous pouvons faire en reconnaissance
de ce qu’il nous a donné.
Voilà pourquoi, hommes et femmes, Algériens que nous sommes, qui
avons souffert la colonisation et l’indépendance confisquée, et dont certains
d’entre nous, ont quitté leur pays pour ne plus avoir à subir, dans le souvenir de
cet homme prodigieux, nous devons trouver la force de résister et surtout
d’espérer que « Demain se lèvera le jour » sur une Algérie unie et réconciliée
52
avec elle-même, comme tel fut le dernier message du grand homme pour lequel
nous sommes ici, lui témoignant notre reconnaissance.
Et au nom de cette reconnaissance, un site officiel Ferhat Abbas
d’information et de documentation sera lancé courant janvier 2012.
www.ferhatabbas.org, et ceci en attendant (et ici je réitère mon appel lancé en
2010 au forum El Moudjahid) que la patrie reconnaissante attribue le nom de
Ferhat Abbas à une rue et un édifice prestigieux dans la capitale, non seulement
par rapport à ce qu’il donna de lui-même à sa patrie, mais aussi par rapport à ce
qu’on lui a fait subir de calomnieux, l’Algérie se doit de réparer le préjudice
causé à la mémoire de l’homme.
Je vous remercie de votre honorable attention.
- Hommage à FERHAT ABBAS
Dimanche 26 décembre 2010
par BENKAM
- « L’Etat doit corriger l’histoire »
Ferhat Abbas a subi l’insupportable à la libération de son pays.
C’est ainsi qu’a résumé Mme Leïla Ben Mansour le sort réservé à celui qui fut le premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).
Mme Leila Benmensour et Mr Abdelhalim Abbas, fils adoptif de M.Ferhat Abbas
Le débat-hommage, organisé hier au centre d’El Moudjahid et auquel ont assisté de nombreux combattants de la guerre de Libération nationale ainsi que des membres de la famille de Ferhat Abbas, a été une occasion pour évoquer la vie et le parcours de Ferhat Abbas.
Mme Ben Mansour a appelé l’Etat algérien « à corriger l’histoire par un discours officiel » pour réhabiliter ce personnage dont le nom est intimement lié à l’histoire du mouvement national et à la guerre de Libération avec toutes ses contradictions. Pour l’intervenante, « ce sont les ennemis de la démocratie et du progrès qui ont enterré son histoire ».
Retiré de la vie politique après deux ans d’internement à Adrar par le pouvoir de Ben Bella, Ferhat Abbas est resté très sensible aux tourments qui ont agité le pays. « Vers les années 1980, il exprimait son inquiétude particulièrement du sort réservé à la jeunesse.
Il avait fait deux constats, la négligence de la science et l’instauration de l’Etat providence qui ont déshabitué les Algériens au travail », a révélé Mme Ben Mansour. Bien avant cela, en 1976, à l’occasion de la charte nationale de Boumediène, le premier président de l’Assemblée constituante, Ferhat Abbas, avait signé « un appel au peuple algérien » avec d’autres figures nationalistes, Hocine Lahouel, Benyoussef Ben Khedda, revendiquant « des mesures urgentes de démocratisation du pays et dénonçant le pouvoir personnel de Boumediène ».Une position qui lui a valu, une nouvelle fois, une assignation à résidence surveillée jusqu’à juin 1978, a rappelé l’intervenante.
De son côté, l’universitaire Ameur Benkhoudja a rappelé le parcours politique de Ferhat Abbas à partir du mouvement national depuis les années 1930. « Il avait joué un rôle central dans le ralliement de nombreux intellectuels français à la cause algérienne grâce à son esprit libre et à son sens universel de son combat », a fait savoir Benkhodja.
Longtemps banni de l’histoire officielle du pays après l’indépendance et souvent son long parcours est réduit sciemment à l’« assimilation avec la France », Ferhat Abbas a connu « une évolution croissante dans ses idées », a indiqué Mohamed El Korso, chercheur en histoire, lors de son intervention. Il a précisé que Abbas « n’a jamais été un Français, comme le certifient les fichiers de la police française ».
Hacen Ouali,El-Watan
- « Ferhat Abbas n’a jamais été français »
Organisée par l’association Machaâl-Chahid, la conférence- hommage à Ferhat Abbas, tenue hier à El Moudjahid, a permis aux invités de débattre de l’écriture de l’histoire algérienne. Irane Belkhedim-Alger (Le Soir)
- « J’ai enseigné l’histoire à l’université algérienne et j’ai toujours cru que Ferhat Abbas avait eu la nationalité française.
C’est ce que l’on m’a toujours appris.
En 1979, j’ai retrouvé une fiche de police française et sur laquelle j’ai pu lire que Ferhat Abbas a toujours eu la nationalité algérienne.
Beaucoup de questions m’avaient alors trituré l’esprit !
Imaginez l’état de celui qui découvre qu’il a enseigné des choses inexactes en pensant qu’elles étaient justes ! », a affirmé le docteur Mohamed Korso devant une salle archicomble.
De nombreux citoyens ont assisté debout à cette rencontre, ne trouvant pas de sièges libres.
L’intervenant s’est dit, d’ailleurs, heureux de voir tout ce monde assister à cette conférence.
« Vendredi dernier, au cimetière El- Alia où je m’étais rendu avec des amis pour voir la tombe de Ferhat Abbas, il n’y avait pas toute cette foule.
Nous n’étions pas plus d’une centaine de personnes.
Médias, hommes politiques et représentants de l’Etat n’étaient pas venus !
Même si l’on ne partage pas les idées de Ferhat Abbas, nous devons respecter tout ce qu’il a représenté », s’est-il exclamé.
Difficile de retracer le parcours de cet homme.
Ferhat Mekki Abbas était un homme politique et un leader nationaliste.
Il est le fondateur du parti Union démocratique du manifeste algérien et membre du FLN durant la guerre d’indépendance, c’est également le premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de 1958 à 1961.
En 1962, il est élu président de l’Assemblée nationale constituante devenant, ainsi, le premier chef d’Etat de la République algérienne démocratique et populaire.
« Il a été le porte-parole officiel de quelque chose que l’on nommait à l’époque Révolution algérienne. Nous devons le respecter ».
Mohamed Korso estime encore que même la relation qu’entretenaient Ferhat Abbas et Ibn Badis a été déformée.
« L’on n’a pas cessé de parler de rupture entre ces deux personnalités, alors que ce n’est pas vrai !
Aujourd’hui, nos plumes continuent d’écrire en falsifiant l’histoire.
Comment peut-on s’en sortir ? ».
Pour répondre à cette question, l’historien suggère de réétudier les conflits qui ont marqué le mouvement politique et national algérien entre 1926 et 1954, une relecture « objective » de ces évènements pour comprendre l’histoire.
« Il faut revoir les forces actives et dominantes à l’intérieur même du Front national de libération entre 1954 et 1962, et qui ont été fortement soutenues lors de l’édification de l’Etat algérien et de la mise en place de ses institutions ».
Un point d’ombre dans l’histoire nationale. Parce que ce travail n’a jamais été accompli, les Algériens sont désemparés, dit-il, devant leur histoire. « Etudiants et élèves lisent et entendent des versions différentes et contradictoires. Aux départements d’histoire des universités algériennes, chaque enseignant représente une école et ce, quel que soit son niveau ! Sur le plan méthodologique, nous n’avons pas de repères. Les quelques repères qui pouvaient servir ont été perturbés », indique le docteur Mohamed Korso, précisant que « le discours historique ambiant monopolise l’écriture de l’histoire ». L’autocensure et l’inaccessibilité aux archives compliquent la tâche. L’universitaire Leïla Benammar Benmansour, auteure de Ferhat Abbas, l’injustice (Editions Algerlivres), abonde dans le même sens. Ferhat Abbas doit être réhabilité.
« Nous avons souffert de lire toutes ces contre-vérités colportées sur Ferhat Abbas.
Pourtant, c’est grâce au dévouement de cet homme et de ses semblables que nous sommes là, aujourd’hui, en train de discuter en toute liberté ».
L’universitaire ajoute encore que nombre d’Algériens admirent les grands noms qui ont jalonné l’histoire du monde et n’ont pas connaissance des héros qui ont marqué l’histoire de leur propre pays.
« Ferhat Abbas fait partie de ceux dont la jeunesse algérienne d’aujourd’hui tirerait grand orgueil si elle avait connaissance de son dévouement pour son peuple ».
Son intervention est longue. Elle rappelle ses écrits, ses idées progressistes, ses positions émancipées et ses thèmes : l’éducation des masses, l’instruction de la population, la valorisation des sciences exactes dans le système scolaire et la liberté religieuse.
Leïla Benammar Benmansour affirme que la question de Ferhat Abbas lui tient « à cœur » et espère une réparation officielle.
« Nous espérons une déclaration officielle pour corriger l’histoire.
Que l’on attribue le nom de Ferhat Abbas à un édifice algérien. Il n’est pas normal que les boulevards du pays ne portent pas le nom du 1er président du GPRA ! », S’est-elle exclamée. I. B.
Le Soir d’Algérie
- Ferhat Abbas était “très proche” de Cheikh Ben Badis malgré leurs différences politiques
L’universitaire et chercheur en histoire de la Révolution algérienne et du mouvement national, Mohamed Corso, a souligné samedi à Alger que le défunt Ferhat Abbas “était très proche” de cheikh Abdelhamid Ben Badis malgré les différences politiques et idéologiques entre des deux hommes.
Intervenant lors d’une conférence consacrée à la personnalité de Ferhat Abbès, organisée au Forum d’El Moudjahid, le PrKorso a mis l’accent sur les relations entre l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) que présidait Ferhat Abbas, et l’Association des Oulémas algériens, à partir de 1936, affirmant que “malgré leurs différences politiques et idéologiques et en dépit de la polémique qui avait éclaté entre les deux hommes, Ferhat Abbas et cheikh Ben Badis étaient très proches”.
APS
- « L’homme qui voyait juste »
Mohamed Corso, chercheur en histoire, est revenu hier au Forum d’El Moudjahid sur la falsification des faits et réalités historiques qui ont entouré la vie et le parcours de Ferhat Abbas, notamment en ce qui concerne sa fameuse déclaration « La France, c’est moi », en 1936.
« L’histoire enseignée dans le système éducatif et universitaire fait état de la détention de la nationalité française par Ferhat Abbas.
C’est une donnée que nous avons apprise dans les écoles et enseignée pendant plusieurs années.
En 1979, j’ai consulté la fiche de police française où je découvre que Ferhat Abbas n’a jamais demandé la nationalité française.
A partir de là, j’ai compris qu’il y avait une mauvaise interprétation de cette déclaration qui constitue une phase importante dans l’histoire, mais qui est devenue aussi une référence, une autorité historique et méthodologique dans l’écriture de l’histoire », a affirmé Mohamed Corso, lors de son intervention à la rencontre commémorant le 25e anniversaire du décès de Ferhat Abbas.
Il s’est interrogé sur les motivations d’une telle modification des faits qui ne peuvent avoir pour objectif que « la marginalisation » de l’homme.
« L’interprétation de la phrase a eu un impact sur l’écriture de l’histoire et de la Révolution algérienne », a-t-il souligné.
« On ne peut comprendre la déclaration de Abbas qu’en situant les circonstances et les rapports de force au sein du FLN entre 1954 et 1962 », a-t-il ajouté.
Comme conséquence de cette grave dérive, le chercheur évoque le désintérêt des élèves des classes de terminale au cours d’histoire, ainsi que la déstabilisation des étudiants universitaires de la filière dans la mesure où chaque enseignant est devenu une école en la matière.
« Cela est dû au fait que sur le plan méthodologique, il n’y avait aucun repère. »
Il responsabilise l’enseignant, l’étudiant et l’université « qui a lâché le pouvoir de l’autorité de la connaissance », dira-t-il.
Le conférencier revient sur les relations entre Ferhat Abbas et l’imam Ibn Badis, qui étaient marquées par une « polémique des idées », sans que cela n’ait un impact sur la relation entre les deux hommes et surtout sur l’adhésion des chercheurs et militants à la démarche de Ferhat Abbas.
« L’homme mérite le respect et la considération même si on ne partage pas son opinion politique car il a été le premier président du GPRA, du Parlement et le porte-parole de la Révolution algérienne », a-t-il fait remarquer.
Pour lui, la rencontre organisée sur Ferhat Abbas et son parcours politique constituent une étape importante dans la construction de l’histoire.
Ferhat Abbas, le visionnaire
Leila Benmansour Ouameur a évoqué, quant à elle, la réflexion profonde qu’avait Ferhat Abbas sur les jeunes et sur l’éducation.
Alors qu’il n’avait que 23 ans, le premier président du GPRA a interpellé l’armée française dans son appel de 1941 sur la nécessité de former, d’instruire les indigènes en leur inculquant les valeurs morales et en développant leur esprit de la critique. « L’homme voyait juste.
Les problèmes qu’il évoquait dans les années 1940 sont d’actualité aujourd’hui.
C’était l’époque où il pensait à l’Algérie de demain basée sur l’instruction et le savoir », a-t-elle précisé.
Ferhat Abbas a mené une lutte pour convaincre les familles d’accepter une tierce personne qui contribue à l’éducation de leurs enfants.
Il enchaîna ensuite avec une deuxième bataille permettant aux filles d’accéder au savoir.
Ferhat Abbas a alerté sur l’abandon de l’enseignement des sciences exactes, facteur important pour le renouveau.
Il a toujours appelé au travail qui constitue, pour lui, la seule richesse authentique.
« S’il était encore vivant, il se réjouira de voir des milliers de jeunes Algériens prendre le chemin de l’université, mais il sera malheureux de voir d’autres quitter leur pays à bord de fragiles barques », a-t-elle indiqué.
Mme Leila Benmansour Ouameur a demandé à l’Etat de corriger l’histoire par une déclaration officielle et de donner le nom de Ferhat Abbas à un édifice prestigieux dans la capitale.
C’est une question qui me tient à cœur », a-t-elle souligné. Nouria Bourihane
Le Jour d’Algérie
- « Ben Badis a crucifié Ferhat Abbas »
Ferhat Abbas, ce repère de l’histoire nationale et visionnaire hors pair, reste méconnu.
L’historien, Mohamed El Korso, a levé le voile sur un épisode controversé de la vie de l’un des symboles de l’histoire de l’Algérie.
Il s’agit de Ferhat Abbas, le premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra).
Le nom est connu.
Cependant, les multiples facettes de l’homme restent à découvrir.
Le chercheur en histoire, Mohamed El Korso, est catégorique :
Ferhat Abbas est victime du discours historique ambiant.
« Ce discours a été construit sur la base de la réponse du cheikh Abdelhamid Ben Badis (le premier président de l’Association des ouléma musulmans algériens, Aoma) à un article de Ferhat Abbas :
La France, c’est moi ». a expliqué M.El Korso, lors de la conférence qu’il a animée au siège du quotidien El Moudjahid à Alger, en commémoration du 25e anniversaire du décès de l’ancien président de l’Assemblée nationale constituante, dissoute en septembre 1963.
Abdelhamid Mehri, en mission au Qatar, Réda Malek et Abderrahmane Chibane, président de l’Aoma, se sont excusés de ne pouvoir assister à cette conférence.
L’échange que Ferhat Abbas a eu avec cheikh Ben Badis a pesé lourdement sur l’itinéraire de cet homme historique.
« Le cheikh Ben Badis a crucifié Ferhat Abbas », a affirmé le chercheur.
Il a, ensuite, expliqué l’influence qu’a eue cet épisode sur la transcription de l’histoire de l’Algérie du siècle dernier.
Cela dit, il a insisté sur un point : la nécessité d’inscrire cet échange dans le contexte de l’époque.
En février 1936, Ferhat Abbas publie un article dans le journal l’Entente franco-musulmane (connu sous le nom de l’Entente) qu’il dirigeait. « La France, c’est moi », ce titre annonçait, déjà, la tonalité de l’article.
« L’Algérie en tant que patrie est un mythe.
Je ne l’ai pas découverte.
J’ai interrogé l’histoire ; j’ai interrogé les morts et les vivants ; j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé… », avait écrit Ferhat Abbas qui, à l’époque, prônait l’assimilation.
Seulement, il insistait sur le maintien du statut personnel des Algériens.
Aussi, il réclamait l’égalité des droits entre musulmans et européens dans le cadre de la République française.
En réponse, Abdelhamid Ben Badis a défini l’identité algérienne en se référant à l’Islam et à l’arabité.
« La réponse de Ben Badis n’a aucunement jeté le froid entre les deux hommes », a précisé M. El Korso. Il a, également, mis en exergue la « ligne politique droite » de Ferhat Abbas.
En ce sens, il a présenté trois repères historiques.
Il s’agit des différents périodiques dont Ferhat Abbas était responsable. En 1933 paraissait L’Entente qui déclinait la vision de l’assimilation que l’homme défendait. La Seconde Guerre mondiale à constitué un virage décisif dans le parcours de Ferhat Abbas.
En 1944, il publie L’Egalité. Profondément secoué par les massacres du 8 mai 1945, il publie La Réplique Algérienne.
« Ferhat Abbas était un homme fédérateur » a soutenu, pour sa part, Amar Belkhodja, journaliste et chercheur en histoire.
Ce dernier a révélé que l’Union démocratique du manifeste algérien (Udma), créé et présidé par Ferhat Abbas comptait des militants algériens et français.
Il en a décliné deux noms : Roland Miette, un ingénieur en agronomie et…Francis Jeanson, le philosophe français connu pour son soutien indéfectible à la Révolution algérienne. « L’intellectuel Francis Jeanson avait adhéré à l’Udma en 1949 », a précisé le conférencier.
Ce chercheur a mis en exergue le travail de sensibilisation mené par les partisans de l’Udma en faveur de la cause algérienne.
« Cette mobilisation finira par faire basculer l’opinion intellectuelle française et internationale en faveur de l’Algérie », a rappelé M.Belkhodja.
L’un des épisodes les plus marquants de cette mobilisation est le procès des « porteurs de valises », intenté contre Francis Jeanson et les membres du large réseau de soutien à la cause algérienne qu’il a mis en place.
En février 1956, Ferhat Abbas annonce la dissolution de l’Udma et invite ses adhérents à rejoindre le Front de libération nationale.
Son engagement indéfectible dans le combat indépendantiste lui a valu d’être élu président du Gpra à sa création le 19 septembre 1958.
Il fut ensuite élu président de l’Assemblée constituante de l’Algérie indépendante.
Il démissionna de son poste en 1963. « L’homme politique et le visionnaire hors pair qu’a été Ferhat Abbas a été empêché de participer à la construction de l’Etat algérien », a regretté M.Belkhodja.
De son côté, Leïla Benmansour, docteur en communication et auteur du livre « Ferhat Abbas, l’injustice », avait, pour sa part, mis l’accent sur « le visionnaire hors du commun qu’avait été Ferhat Abbas ».
Ce monument de l’histoire national, auquel l’honneur qui lui était dû n’a pas été rendu, est décédé le 24 décembre 1985, alors qu’il était assigné à résidence.
Mohamed Sadek LOUCIF,L’Expression