La technique du paléomagnétisme utilisée par les archéologues pour dater leurs outils taillés de 2,4 millions d’années est fortement contestée.
« L’Algérie pourrait être le berceau de l’humanité », titrait le site Observ’Algérie le 30 novembre dernier. De nombreux autres journaux se sont précipités pour brandir cette nouvelle provenant d’une équipe d’archéologues. Que d’encre et de bêtises ont été déversées après l’annonce de la découverte d’outils en pierre taillée remontant à 2,4 millions d’années. Les journalistes se sont tout juste bornés à reprendre l’article paru dans la revue Science. Mais, selon plusieurs archéologues, dans son enthousiasme, l’équipe découvreuse a poussé le bouchon un peu loin.
Voici la situation : récemment, une équipe de chercheurs multinationale, conduite par le Pr Mohamed Sahnouni, met au jour quelque 250 outils de pierre sur le site d’Ain Boucherit. Ces choppers, lames et autres éclats auraient servi à décharner la viande de carcasses. Simultanément, de nombreux fragments osseux de bovidés et d’équidés ont été trouvés, porteurs de marques de découpe. Ce qui pose problème, c’est la datation des outils. D’après Sahnouni, ils auraient été taillés voilà 2,4 millions d’années.
Et d’en conclure aussi sec que l’Afrique du Nord pourrait être le deuxième berceau de l’humanité après l’Afrique de l’Est, où des outils datés de 2,6 millions d’années ont été exhumés. Entendons-nous bien : par humanité, le paléontologue entend l’apparition de nos ancêtres, les premiers Homo, et non pas des premiers hommes (Homo sapiens). Déclaration enflammée de Mohamed Sahnouni : « Les preuves fournies par l’Algérie changent la vision antérieure selon laquelle l’Afrique de l’Est était le berceau de l’humanité. En réalité, c’est l’ensemble de l’Afrique qui est le berceau de l’humanité. »
Méthode de datation grossière
Mais voilà, tous les archéologues sont loin de partager les conclusions de Sahnouni. Un papier remettant les pendules à l’heure est en cours de rédaction. Les outils n’auraient pas plus de 2 millions d’années. « La technique du paléomagnétisme n’est pas une méthode adaptée à une datation précise », assure le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin. En deux mots, cette méthode repose sur l’inversion du champ magnétique terrestre tous les 700 000 ans, à peu près. Un coup le nord magnétique est au nord, un coup il est au sud. À l’intérieur des roches en formation, les particules métalliques s’alignent en fonction du champ magnétique terrestre. Ce qui permet donc une datation très grossière des roches. En fait, les paléontologues ne l’utilisent que pour comparer l’âge des roches entre elles, mais pas pour établir une datation exacte. C’est pourtant la méthode choisie par l’équipe de Sahnouni pour dater les roches renfermant les pierres taillées. Donc méfiance ! D’autant plus que les fossiles d’animaux retrouvés avec les outils appartiennent à des espèces bien plus récentes que 2,4 millions d’années.
Bref, dans son enthousiasme, il se peut bien que l’équipe d’archéologues ait poussé le bouchon un peu trop loin. Les pierres taillées pourraient donc être bien plus récentes. Dans ce cas-là, au lieu d’avoir été utilisées par les premiers Homo, elles pourraient être attribuables à Homo ergaster (ou erectus). Ainsi, inutile de parler de deuxième berceau de l’humanité. Yves Coppens précise que la présence d’erectus est déjà avérée en Éthiopie (2,8 Ma), en Israël (2,4 Ma), à Longgupo en Chine (2,4 Ma) et peut-être à Masol en Inde (2,6 Ma).
Quant à notre espèce, les hommes modernes (ou Homo sapiens), rappelons qu’elle fait son apparition bien plus tard. Les plus anciens fossiles, justement découverts par Jean-Jacques Hublin au Maroc, datent de 300 000 ans.
Bref, la découverte algérienne est passionnante, mais il est bien trop présomptueux de parler de deuxième berceau de l’humanité.
(Par Frédéric Lewino,publié le 14/12/2018 lepoint.fr)
16 décembre 2018
Sciences & HighTech